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partie due à ce désir de plaire qui, de tout temps, a été, est, sera de leur race ; entrant de plain-pied dans la vie orientale, accueillans aux races, tolérans aux sectes, ils n’ont point seulement cherché la satisfaction d’une politique ou l’aisance de la vie, mais la joie de paraître, aux yeux des populations conquises, les plus humains des humains. Partout il est écrit que le Franc a voulu qu’il fût dit que « la terre des Francs était terre de franchise. » Et il n’y a pas là qu’un jeu de mots heureux.

Par là ils ont fondé une colonie qu’on juge mal, — comme on a longtemps mal jugé tout ce qui est du Moyen Age. On loue assez communément de notre temps les Anglais d’avoir su être par excellence le peuple colonisateur parce que, restant Anglais, du Canada au Cap et de l’Inde à l’Australie, ils ont su laisser aux peuples conquis leurs lois et leurs mœurs. Si l’on considère de quel libéralisme s’inspirait le régime établi en Syrie, on ne voit point pourquoi on ne décernerait point aux Francs du XIIe siècle la même louange. Car s’ils gardèrent leur organisation propre, ils donnèrent à leurs sujets, avec la liberté de faire leurs affaires et de les faire fort bien, ce que l’homme met au-dessus de la liberté même, la justice.


LA CHUTE DU RÉGIME

Le royaume de Syrie devait durer cependant moins de deux siècles. Il avait en 1153 atteint son apogée par la conquête d’Ascalon, mais déjà il avait, en 1144, perdu Édesse. En 1187, Salah ed din, — Kurde devenu sultan d’Egypte, — le Saladin de nos chroniques, envahissait par le Sud la Terre Sainte, battait à Tibériade Guy de Lusignan, le faisait prisonnier, investissait, puis, le 11 octobre, prenait Jérusalem, y faisant abattre les croix et purifier les églises qu’il transformait en mosquées. Il conquérait toute la partie méridionale du royaume, y compris Saint-Jean d’Acre qui seul put lui être repris par les rois d’Occident croisés et qui devint capitale du royaume de Syrie singulièrement diminué. L’empereur allemand Frédéric II Hohenstaufen, qui s’attribuait des droits sur ce royaume, put bien en 1229 obtenir, par la voie des négociations, du Soudan d’Egypte la restitution de la Ville Sainte ; mais ce Souabe, excommunié par le Pape et honni de la Chrétienté, ne put ni trouver un prêtre pour le couronner au Temple, ni se faire accepter des