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alors était le roman ; car ce n’est guère qu’à Chypre, au XIVe siècle, que le gothique français fleurira.

Les croisés n’avaient trouvé debout dans la Ville Sainte qu’une église chrétienne, la Résurrection et qu’un monastère chrétien, Sainte-Marie, échappés par miracle à la destruction. Godefroy n’eut le temps que de réorganiser l’église[1] ; ce fut son successeur qui fonda couvens et sanctuaires : à son appel les Bénédictins s’établirent dans la vallée de Josaphat, à Sainte-Marie Latine, à Sainte-Anne, sur le Mont-Thabor, les Augustins dans l’église du Saint-Sépulcre. Les murs blancs aux pures colonnes, aux lignes sévères s’élevèrent. S’ils laissaient subsister églises grecques, synagogues et mosquées, princes et seigneurs édifièrent à l’envi des églises chrétiennes à Tyr, Sidon, Beyrouth, Djebeil, etc., tandis que les Italiens fondaient leurs sanctuaires nationaux. « On a peine à concevoir comment le travail, sans cesse interrompu par la guerre, a pu être aussi fécond, » écrit le marquis de Vogüé, revenant de son voyage d’exploration à travers cette « multitude d’édifices dont les ruines jonchent encore le sol[2]. » Quelques-uns restent debout ; ce sont les églises converties en mosquées comme ce Saint-Jean où Vogüé n’avait pu pénétrer, mais que, cinquante ans après, M. Enlart put visiter et qu’il nous décrit ; Allah a eu beau s’installer chez saint Jean, cette mosquée a donné au visiteur l’impression que lui prodiguaient les cent églises de Chypre qu’il nous a révélées : l’air de France : l’abside est d’Auvergne. « Joli modèle de petite cathédrale de colonie, peu coûteuse, élégante, solide et pratique[3]. » Elles étaient pareilles, ces églises qu’a reconstituées Vogüé : la Madeleine, Sainte-Croix, Sainte-Anne, Saint-Jacques le Mineur de Jérusalem, cathédrale de Djebeil, Saint-Georges de Lydda, Saint-Jean de Sébaste, Saint-Jérémie de Kariath et Enab, etc. Seulement dans ces murs au style pur d’Occident, un faste oriental se déployait : des seigneurs vêtus des brocarts de Bagdad aux prêtres officiant sous les lourdes chapes d’or ouvrées de Saint-Jean d’Acre, tous étaient redevables à l’Orient de leurs costumes, tandis que les soies molles

  1. La Terre Sainte était divisée en 2 patriarcats. Dans celui d’Antioche on comptait 4 archevêques, 9 évêques, 9 abbés mitres, 5 prieurs du rite latin ; dans celui de Jérusalem, 4 archevêques, 7 évêques, 9 abbés et 7 prieurs.
  2. Vogüé, Églises de la Terre Sainte.
  3. Enlart, La Cathédrale de Saint-Jean de Beyrouth, plaquette de 13 pages.