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pris sous le règne des Francs un essor insolite. C’est que, jusque-là, le trafic venait, — ou peu s’en fallait, — mourir au littoral. Frayant, nous l’avons vu, la voie aux entreprenans armateurs de l’Italie, les Francs les avaient de toutes les façons encouragés à faire des neuf ou dix ports du littoral autant de portes ouvertes sur l’Occident[1]. Les routes qui, de l’intérieur, y acheminaient, étaient l’objet de soins éclairés : qu’on allât par les passes étroites, d’Alep à Alexandrette, d’Homs à Tripoli, de Damas à Beyrouth et à Tyr, ou encore que, de Damas, on gagnât Jérusalem, Acre, Jaffa, on empruntait les voies qui, à Alep et Damas, se raccordaient aux routes des caravanes apportant les produits de l’Asie. Une sorte d’entente avec les émirs en avait réglé la police : tel chêne imposant, le chêne de Balane, à mi-chemin entre Beit-Djemin et Belinas, marquait le point où la police franque de Tripoli prenait les caravanes des mains de la police turque de Damas. Et au XIVe siècle, Marco Polo admirait ces routes en partie créées, en tous cas bien traitées par les Francs, disparus alors depuis peu.

Denrées de l’Orient et même de l’Extrême-Orient affluaient par-là à l’appel que leur faisaient les comptoirs du littoral : car d’Asie Mineure, de Mésopotamie et de Perse arrivaient les tapis moelleux, les riches tentures, les brocarts et les pierres précieuses, d’Arménie les pelleteries fines, hermine, gris, gros et menu vair, loutre et renard ; c’était des Indes que sortaient les matières alors peu connues de l’Occident, camphre, musc, aloès, poivre, ivoire, santal, perles, tandis que soie et cotons venaient de loin se ranger en ballots sur les quais des Échelles syriennes italianisées.

Mais la Syrie même s’était mise à décupler ses produits devant les débouchés ouverts par le règne des Francs.

Si la montagne ne fournissait guère que ces bois magnifiques (le cèdre du Liban restait plus qu’aujourd’hui debout) qui, dans l’Antiquité, avaient attiré en Syrie les conquérans d’Egypte, on avait planté sur les pentes vignes et oliviers. Les vignobles de la Syrie septentrionale étaient des meilleurs : les vins de la Liche, de Nephin et du Boutron étaient célèbres. Le vin de Jéricho méritait des éloges et c’était aux vignes d’Engadi, aux rives de la Mer-Morte, que les chevaliers de

  1. Cf. spécialement sur les ports de la Syrie franque Heyd, Histoire commerciale du Levant au Moyen Age. Leipzig, 1885, pp. 129-190 et 130-378.