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troisième élément de la population chrétienne. Ils sont venus, comme je l’ai dit, dès les premiers jours de Venise, de Gênes, de Pise. Les princes ont vite aperçu qu’eux seuls pouvaient créer entre l’Orient et l’Occident le courant commercial dont j’essaierai tout à l’heure de donner une idée. Mais il a fallu les attacher par des privilèges. Dans chaque ville, le groupe italien a son organisation propre, petite colonie italienne à laquelle Venise, Pise ou Gênes envoie un « gouverneur » et qui possède en pleine propriété un quartier, un marché, une église, un bain, un four, un magasin général et, sans payer de taxe, le droit de débarquer et de vendre des marchandises. Ainsi, entre Francs et Italiens était supprimé tout motif de querelle, sinon de jalousie : le droit était net et réglé le privilège.


Les Grecs étaient moins favorisés. Les Croisés latins ne les aimaient point. Ils les tenaient pour mauvais chrétiens, facilement traîtres à la foi, de connivence avec leurs ennemis et d’ailleurs hostiles, — plus que les Musulmans même, — à leur domination. Et ils n’avaient pas tort, car les Byzantins voyaient dans ces Latins des usurpateurs au même titre que les émirs et, plus que les Sarrasins même, d’insupportables brutes. Alexis Comnène avait tremblé devant les soldats de Bohémond, qui l’avaient menacé d’une révolution en pleine Byzance. Mais ces Grecs étaient partout en Syrie : ils servaient de courtiers et de truchemens, rarement sûrs, mais parfois précieux, connaissant les langues d’Orient, ayant eux-mêmes une langue dorée, aptes à mentir, mais aptes aussi à s’entremettre. Et puis quelques liens se créaient, malgré tout, entre Constantinople et Jérusalem : Baudouin III épousera Theodora, nièce de Manuel, remarié lui-même à Marie d’Antioche et c’est le Basileus qui forcera Nour-ed-din à mettre en liberté 6 000 prisonniers francs, pris au cours de la deuxième croisade. Bref, les Grecs restent, en Syrie, sujets de l’Empire grec, pouvant se réclamer de Byzance, trop habiles pour abuser, mais prêts à jouer le Latin. Ils gardent sous ce gouvernement catholique leurs églises « schismatiques, » leurs marchés, leurs comptoirs.

Mais à ces chrétiens de seconde zone on préférait les Syriens autochtones. Ceux-là furent vraiment heureux. Presque tous, Maronites, Jacobites, Arméniens, étaient cultivateurs. Ce