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Courtenay et de Baudouin d’Edesse, ceux-ci n’hésitent point à s’allier contre lui à l’émir d’Alep, Ridhran. C’est un précédent qui a d’assez nombreux effets. A plus forte raison, n’hésite-t-on pas d’Antioche et de Jérusalem à contracter alliance avec un « mécréant » contre un autre : Foulques I, pour ne citer qu’un cas, conclut avec le sultan de Damas traité contre les Turcs de Mossoul, puis contre l’émir d’Alep. Et les relations sont bientôt constantes. Des ambassades s’échangent. Un des futurs ennemis de la Croix, Saladin, enverra des émissaires à la cour de Jérusalem ; mais, pendant cent ans, on a vu les turbans et les burnous des légats arabes et turcs au « Palais de Salomon. » Par ailleurs, des chevaliers sont sans cesse en mission à Alep, Damas, Mossoul ou le Caire. En 1169, les Francs sollicitent et obtiennent du calife d’Egypte qu’un « commissaire, » — vrai ambassadeur permanent, — soit installé en cette ville. On apprend à s’estimer en apprenant à se connaître. Un émir raconte sa visite au roi Foulques ; celui-ci lui a dit : « On m’a rapporté que tu es noble chevalier. Je l’ignorais. — Seigneur, répond Ousama, je suis chevalier à la façon de ma race et de ma famille. Ce qu’on admire surtout chez un chevalier, c’est d’être mince et long. » L’Angevin aux larges épaules accepte la définition, qui est presque une épigramme. Les chroniques arabes sont pleines de récits de visites cordiales aux princes francs. Et si les chroniqueurs latins en parlent moins, c’est que, écrivant pour l’Occident, peut-être préfèrent-ils laisser ignorer là-bas que la Croix abrite ces connivences.

Si des relations se sont créées avec les princes d’Orient, — ennemis de la veille et du lendemain, — à plus forte raison les princes francs sont-ils depuis longtemps réconciliés avec l’idée de traiter en sujets acceptables les « infidèles » demeurés en Syrie conquise. Il fallait vraiment que le « fanatisme » du croisé franc fût peu foncier pour que, si vite, cette idée se fut acclimatée. Point de massacres, les périodes de guerre closes, point même de persécutions. Les écoles et académies arabes restent ouvertes ; Tripoli continue à être un centre d’études coraniques, et des Latins viennent s’y initier ; on y apprend l’histoire et le droit musulmans ; la plupart des seigneurs savent parfaitement l’arabe, et servent ainsi d’interprètes entre les croisés du XIIIe siècle, de Richard Cœur de