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illustre prélat du royaume, — nous montre cette prérogative s’exerçant, parfois despotiquement, à l’âge suivant. Comme il semble bien que le souverain a le droit de créer des évêchés et de présider les synodes, il jouit sur l’Eglise d’une influence incontestable qui, d’ailleurs, a comme contre-partie une extrême générosité, le Cartulaire du Saint-Sépulcre est là pour l’affirmer. Il parait bien que, déçue dès les premières années dans ses prétentions à la domination, l’Eglise de Jérusalem se soit résignée à un Concordat où chacun trouvait son profit. Car si les rois protégeaient et enrichissaient l’Eglise, ils possédaient en elle une cliente précieuse, — la première force morale et le plus riche propriétaire du royaume. Grâce à cette entente qui ne paraît pas avoir été troublée, l’Eglise proclame volontiers le roi qui siège à Sion successeur de David et de Salomon contribuant par son action à faire du plus réel successeur de Godefroy, — si inféodé à l’oligarchie, — autre chose que le modeste « chief seigneur » qu’avaient rêvé les barons.

Ce roi s’est donc émancipé, et c’est un souverain. Ce souverain vit entouré d’une pompe très spéciale et le spectacle qu’offre sa cour nous fera pénétrer par le haut dans ce monde bizarre de la Terre Sainte conquise par les Francs, mais où les Francs, — selon une des lois de l’histoire, — se laissaient quelque peu conquérir par la terre conquise.


LE SOLDAT FRANC EN FACE DE SA CONQUÊTE

Il faut qu’on se représente ce qu’était le guerrier franc qui, dans les premiers jours du XIIe siècle, s’est installé dans la « terre d’Outre-Mer. »

Venu des bords de la Seine ou du Rhin, de la Loire ou de la Meuse, ce féodal a pénétré dans le monde le plus étranger qui se pût rêver à son milieu de la veille.

Ce seigneur de langue d’oil avait jadis dans son âme et son esprit beaucoup de l’âpreté des climats du Nord. C’est un homme tout d’une pièce. Chrétien, il était habitué à abominer quiconque est « infidèle, » qu’il fût l’« hérétique grec, » le « Juif immonde, » ou le « sectateur de Mahomet, » — un « païen. » Soldat enfermé dans sa ferté de France au centre de son fief, au-dessus de la forte glèbe, il méprisait les jeux de l’esprit, les subtilités de la politique, les manigances du commerce ; il