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Il se sent défaillir, et sa tête se penche sur l’armure de son maître en sanglotant. Puis, tout d’un coup, il la relève fièrement : « Tu veux donc mon déshonneur éternel ? Sache que, si tu ne me permets pas de le défendre dans ce combat, je me percerai de ce poignard aussitôt toi parti ! » Lazare sourit et, saisissant la main de Miloch qui brandit le poignard incrusté de rubis, il murmure : « Soit, puisque tu le veux. Si je meurs, tu me vengeras. — Si tu ne tues pas le Sultan, c’est moi qui le tuerai. Je le jure, » ajoute Miloch. Et le Tsar confirme. « Puissent tomber ainsi tous ceux qui attenteront à mon royaume, à la libre Serbie ! » Ils s’embrassent et montent à cheval. Trente bannières les suivent avec le gros de l’armée, et tous se jettent dans la fournaise…

… Mais qu’apporte ce cavalier qui arrive ventre à terre, sans armes et couvert de sang dans le camp des Yougovitch ? « Le Tsar est tombé en combattant sous les lances des janissaires. On ne sait s’il est mort ou vivant. Miloch lutte encore avec les siens pour délivrer son maître. » À cette nouvelle, le vieux Bogdan et ses neuf fils entrent en bataille avec toutes leurs troupes. Là-dessus s’engage une mêlée effroyable, où les chevaux cabrés se mordent, pendant que leurs cavaliers se transpercent, où les étendards brandis et volant par les airs retombent sur des monceaux de cadavres, où l’on ne distingue plus les chevaliers des fantassins, les glaives des javelots, le Croissant de la Croix et les morts des vivans. — Mais qu’aperçoivent les Serbes ? Des queues de cheval à la lance des chrétiens. Brankovitch a trahi. Toute son armée combat dans les rangs des Turcs. Pour comble d’horreur, Mourad a fait trancher la tête du tsar Lazare tué sur le champ de bataille. Un janissaire a hissé le chef auguste du souverain sur la pointe de sa lance et promène le lugubre trophée, au galop de son cheval, entre les deux armées. Un immense cri de joie route sur l’armée ottomane et se répercute de colline en colline, d’échos en échos. Devant ce désastre, les Serbes privés de leur chef, saisis de douleur et plongés subitement dans un morne silence, ont senti tomber leur courage. C’est la déroute fatale. Les voïvodes qui ont survécu s’échappent. La plupart des Yougovitch sont tombés avec leur père. Les derniers regagnent leur camp pour un combat désespéré, où ils périront tous. La bataille est perdue…

… Cependant Miloch grièvement blessé n’est pas mort. Il