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gerbes de deux ou trois épopées grandioses. Peut-être un Shakspeare slave en tirera-t-il quelque jour d’émouvantes tragédies. En attendant, ils sollicitent de notre part un autre genre d’intérêt. Par son héroïsme dans la dernière guerre, par sa fidélité admirable à la parole donnée, par son martyre sublime, affirmant sa force morale indestructible et sa renaissance prochaine, la Serbie est entrée d’un bond et au premier rang dans la solidarité des peuples qui se battent contre l’hégémonie teutonne, pour la liberté du monde. Par la noblesse de son attitude et son courage stoïque dans la souffrance, elle attire, comme la Belgique, la sympathie et l’admiration universelles. Dès lors, on se demande par quel miracle de la vie intérieure cette nation, toujours persécutée et opprimée par ses voisins, a su maintenir l’intégrité de sa conscience et poursuivre son idéal en dépit des circonstances contraires. C’est un problème de psychologie nationale d’un caractère unique. Ailleurs, de grands génies ont moulé des nations pour leurs missions spéciales, avec les élémens ethniques les plus divers. Ici, nous voyons l’âme nationale subconsciente poursuivre inflexiblement son idéal avec des élémens ethniques homogènes et contraindre la nation entière, comme ses héros, à le réaliser. Il nous a donc paru d’un intérêt palpitant de suivre la formation de cet idéal national à travers la poésie populaire des Serbes, qui accompagne leur histoire depuis son origine jusqu’à nos jours.

Le tableau de cette histoire se présente à nous sous la forme d’un triptyque. C’est d’abord la grandeur et la splendeur d’un passé à jamais perdu, qui reluit comme un soleil couchant, à travers le désastre de Kossovo. — C’est ensuite la longue, l’obstinée résistance au terrible joug ottoman, qui se personnifie dans la légende de Marko. — C’est enfin, par une série de sursauts, le réveil de toute la nation et son élan vers un idéal nouveau, qui sort comme une fleur merveilleuse du vieux tronc reverdi.


II. — LE VIEIL EMPIRE SERBE. — LA BATAILLE DE KOSSOVO

La nation serbe reçut le christianisme et la civilisation, entre le Xe et le XIIe siècle, de l’empire byzantin en décadence. Ce peuple jeune et vigoureux, qui se forma sous le roi Némania et grandit au souffle des croisades, devint assez fort en l’espace