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qui ont un passé, une tradition, une autorité, se sont maintenant rangés derrière le comte de Romanones. Neutralité, c’est entendu, mais pas jusqu’à l’abdication. Nous évoquions ou alléguions tout à l’heure l’appel du sang, l’instinct de la race. Il y a certainement aussi l’instinct de la défense personnelle. Les pays qui ont le plus vivement réagi contre l’insolence, la tyrannie allemandes, sont aussi ceux où les Allemands se sont abattus, dans lesquels ils se sont installés, comme chez eux, par cette espèce d’infiltration qui est, de leur part, une préface et déjà un équivalent de l’invasion ; les États-Unis, où ils ont afflué par millions; le Brésil, dont ils ont germanisé deux États ; l’Espagne qu’ils ont couverte d’espions, au point qu’un bateau ne peut sortir d’un port sans être d’avance désigné aux torpilles de leurs sous-marins. Tel était le tableau de l’Italie, avant le mois de mai 1915, et même après la déclaration de guerre à l’Autriche; tel était encore l’aspect de Bucarest et de la Roumanie à la fin d’août 1916. Pour l’Empire allemand, l’immigration fait partie de la préparation militaire, et la résidence chez les neutres est la première des opérations de guerre.

Vis-à-vis des États-Unis, au lendemain de la rupture des relations diplomatiques, l’Allemagne s’est enfoncée dans son double jeu : on sait qu’elle ne le renouvelle guère. Nous l’avons trop souvent décrit pour nous permettre d’y revenir encore. C’est ce qu’on a, par une comparaison expressive, appelé « le système de la douche écossaise ; » verser alternativement le chaud et le froid ; faire se succéder la caresse et la menace; et, pour user d’une autre comparaison, présenter tour à tour la cravache et le morceau de sucre. Ou plutôt les présenter à la fois, l’un d’une main, l’autre de l’autre, une main tendue, l’autre retournée, pour que l’on voie l’un du dedans, et que, du dehors, on voie l’autre. La Chancellerie allemande a toujours deux séries de documens, comme la presse allemande a toujours deux séries d’articles. Dès que l’on connut à Berlin la décision du Président Wilson, on fit mine de crier au malentendu. On offrit des explications qui ressemblaient beaucoup à des excuses. On inonda l’Amérique de dépêches d’agences et de radiotélégrammes sur les dispositions pacifiques, amicales, affectueuses de l’Empire. On feignit de s’intéresser, comme à un cas intellectuel bizarre, à « l’erreur » de M. Wilson, mais doucement, sans la lui reprocher, sans récriminer, en le flattant, pour le corriger par la persuasion. En même temps, à l’intérieur et pour les neutres les plus voisins, pour les Scandinaves, les Hollandais, les Suisses collés aux vitres, qu’il importait de contenir par l’effroi, ou faisait la face féroce L’Allemagne ne bougerait pas d’une ligne, ne romprait pas d’une