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jeunes filles, et ne chantait pas comme elles, en travaillant, des chansons d’amour ; elle prenait même la fuite lorsqu’un des ouvriers de son père pénétrait dans la pièce où elle se trouvait. « Seigneur Dieu ! ils ne sont pourtant pas venimeux, » grondait Lapa ; mais sa fille les fuyait justement comme des serpens.

Toutefois, grâce à Bonaventura, la sœur favorite de Catherine, on réussit à l’ébranler un peu ; il vint un jour où Catherine consentit à se rendre au bal comme les autres jeunes filles, avec une belle toilette, les joues fardées, et les cheveux teints en blond, ainsi que l’exigeait la mode.

« À cette époque, Sienno était si riche de biens terrestres qu’il y avait fête presque chaque jour en l’honneur des nouvelles mariées, raconte un contemporain de Catherine, le moine Filippo Agazzari, dans ses Histoires morales.

Si l’on en croit ce sévère prédicateur, les jeunes Siennoises n’étaient pas moins frivoles au XIVe siècle qu’au XXe. Il cite le cas d’une jeune fille qui tomba morte pendant un banquet pour s’être trop serrée, ainsi que celui d’une autre dont le visage fut rongé par le fard qu’elle employait ; il parle encore d’une troisième qui fut aidée à sa toilette par le Malin lui-même, déguisé sous les traits d’une camériste et à laquelle il advint pis encore…

D’autres auteurs assurent que les dames passaient des journées entières sur leur terrasse, les cheveux exposés au soleil afin qu’ils devinssent blonds.

Cette période mondaine de la vie de Catherine semble avoir été brève ; quoi qu’il en soit, elle prit fin à la mort soudaine de Bonaventura, en août 1363. Près du cadavre de sa sœur chérie, Catherine pleura amèrement, ce qu’elle considéra par la suite comme une horrible ingratitude vis-à-vis du Seigneur. Ne lui avait-il pas fait don de l’apparence extérieure qu’il lui voulait ? Et elle avait cherché à l’améliorer ainsi qu’on gâche une œuvre de maître ! Dieu l’avait créée à son image, et elle avait osé la repeindre et la transformer à l’image du diable ! Plusieurs années après, elle s’accusait encore dans ses confessions de ce temps d’infidélité, et quand Raymond s’efforçait de la consoler, elle s’écriait : « Est-ce donc à mon confesseur d’excuser mes péchés ? » Elle était elle-même convaincue que l’enfer eût été son partage, si elle fût morte dans cet état de frivolité.