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Ensuite, aux premiers feux de l’été, se répand une contagion sur les bords limoneux du Motterone ; chaque jour, les cloches sonnent des trépas : et Giulietta meurt. Alors, Alberto, qui plaignait Conrado et le méprisait de son amante en marbre, lui envie cette amante immortelle ; et, devant la statue, les Corcorone sont deux rivaux qui s’entre-tuent. Le statuaire avait conté ainsi son histoire à lui : « Un jour, ma maîtresse m’embrassa avec un geste si charmant que je voulus en fixer le souvenir ailleurs qu’en ma mémoire. Celle des hommes est si incertaine que même les images qui l’ont le plus délicieusement émue y sont brèves et fugitives. C’est de l’expérience de cette fragilité que sont nés les arts, et du désir de rendre durable par eux ce qui, sans leur aide, n’est que passager… » Un jeune homme, qui s’attendrit sur la beauté d’un paysage ou d’une idée, en fait part à sa bien-aimée, puis, comme il est dit dans la Maison du berger, « se regarde au miroir d’une autre âme : » c’est la première illusion, de présumer plus fidèle et sûre une autre âme. Le sentiment de la frivolité qui est dans toutes les âmes vous mène au désir de l’art, qui est un amour plus impassible et non, comme l’amour et son furtif émoi, toujours menacé.

L’amour et l’art, et la menace de la mort ou de l’oubli, sont la poésie de ces romans que le poète de Tel qu’en songe écrit pour son mélancolique et fin plaisir et qui ont la grâce, effrontée parfois, des Fêtes galantes et l’indicible tristesse de l’Embarquement pour Cythère. L’amour en est le sujet, le motif, l’amour si varié ; l’amour tel que le pratiquent, au siècle de M. de Bréot, les libertins, railleurs désespérés ; l’amour à Venise, hier et maintenant ; le grand amour et l’amour futile, à Paris et dans la province ; l’amour qui rend brutal et repentant M. Le Varlon de Verrigny, sans cesse éveillé d’une bonne fortune et tourmenté de scrupules moins vifs que son entrain ; l’amour qui rend comiques M. d’Aiguisy et M. de Valenglin, prétendans malheureux et rivaux de rancune ; l’amour qui rend si pathétique en sa niaiserie le jeune Galandot, si aguichante sa cousine Julie ; et si attrayante jusqu’en ses refus Mme de Blionne qui écarte un rêveur, en lui disant : « Hélas ! monsieur, ne craignez-vous donc pas l’épreuve de la réalité ? » Mais l’amour n’est pas le tout de ces récits, comme il n’est pas, on dirait, le tout de l’existence… « N’y a-t-il pas, s’écrie la gentille Romaine Mirmault, des tas d’autres choses qui le valent bien ? Il y a le soleil, l’air, la lumière, la musique, l’amitié et la toilette !… » On lui répondrait : c’est encore de l’amour. On n’osait lui répondre, et alarmer son allégresse : il y a aussi la destinée, mais