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sont montrées ni innocentes, ni inoffensives, ni imbéciles non plus, disons-le à leur honneur. Le gouvernement allemand n’a pas eu de meilleurs auxiliaires pour faire régner l’ordre à l’intérieur ; il semble bien qu’il n’ait pas eu non plus de thuriféraires plus enthousiastes pour sa politique de proie. Que vaudront cette excellente organisation et ce fanatisme pangermaniste contre la famine menaçante et la déconfiture militaire qui déjà s’annoncent ? Il est fort malaisé de le conjecturer. Mais tant qu’ont duré les succès militaires, le chœur des femmes n’a cessé d’exciter à la conquête les guerriers déjà fanatisés par ailleurs. Les chants de haine ont été sur leurs lèvres ; le rêve de la grande Allemagne a fait vaciller leur raison. Scrutant l’avenir, elles n’y ont aperçu pour leur sexe qu’une seule activité désirable : le service de l’Etat prussien, par la maternité d’abord, puis par l’action patriotique généralisée dans le domaine familial, social, professionnel, voire politique ; enfin par une plus savante organisation de « renseignemens » et d’espionnage.

Les plus ambitieuses, les plus astucieuses parmi elles ont adhéré, en toute lucidité, à la politique opportuniste du parti socialiste auquel beaucoup sont affiliées : en échange d’un appui sans réserves, d’un dévouement sans bornes, elles ont espéré obtenir plus tard du gouvernement impérial les libertés, les droits nouveaux que vingt ans de meetings et de criailleries ne leur avaient pas conquis. La manœuvre n’est pas nouvelle ; elle atteste une survivance intéressante d’esprit féodal. Mais on n’aperçoit pas pourquoi elle vaudrait à ceux ou à celles qui l’ont conçue et exécutée une mesure spéciale d’estime, de sympathie ou de pitié.

Et quant à la grande masse qui n’a pas cherché si loin ses raisons, on peut dire qu’en se laissant volontiers porter par la vague immense d’impérialisme brutal, elle s’est rendue solidaire de tous ceux, — Empereur allemand, parti militaire, doctrinaires du pangermanisme, — qui ont déchaîné sur l’Europe le fléau dont nous n’avons pas fini de ressentir tous les coups.


G. BLANQUIS.