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mènera cent ans, s’il le faut, « la guerre de la pensée allemande contre la finance anglaise, de l’idéalisme contre le matérialisme, de l’intelligence contre la force brutale, de tout ce qui est allemand contre tout ce qui est anglais. » Elles veilleront à ce que rien ne soit oublié ou pardonné ; elles sèmeront dans les jeunes cœurs une semence de haine, qui fructifiera en actes décisifs. Sans cesse à l’affût, elles ne se lasseront point de démasquer cette Angleterre hypocrite qu’on a trop longtemps admirée ; elles méditeront sur le vieux procès de Warren-Hastings et répéteront contre la nation tout entière les paroles solennelles de l’acte d’accusation : « J’accuse la Grande-Bretagne de crimes graves et d’horribles méfaits. Je l’accuse au nom de la nature humaine, au nom de l’un et l’autre sexe, au nom de tous les âges et de toutes les conditions. Je l’accuse d’être l’ennemie universelle et l’oppresseur de tous.

Contre « l’ennemie universelle, » il faudra organiser une surveillance de tous les instans, et c’est à quoi les mères prépareront leurs fils à l’avenir : « Il faudra mettre auprès de John Bull un observateur sagace, qui contrôle chacun de ses actes et le livre aussitôt à la publicité, qui ne lui laisse jamais faire un pas sans proclamer aussitôt à la face du monde comment et pourquoi ce pas a été fait. On placera à ses côtés un concurrent subtil, qui ne lui laissera de paix ni jour ni nuit. On lui donnera pour ennemis des cerveaux lucides et ingénieux, — hommes de science, journalistes, négocians, — qui auront assez de bonne haine dans le ventre pour deviner les points faibles de l’adversaire, et assez de décision claire et froide pour s’y attaquer et en tirer parti. Telle sera la tâche de notre jeunesse, pendant la guerre et en Europe d’abord, mais longtemps aussi par la suite et dans le monde-entier » Charmant programme, en vérité ! Il semble que nous les voyions d’ici, ces mégères prussiennes, faire épeler à leur marmaille l’hymne de haine de Lissauer, puis enseigner à leurs fils et à leurs filles les rudimens de l’art de l’espionnage ! C’est bien ainsi que L. Niessen-Deiters se représente le devoir de ses congénères, et elle a consacré toute une conférence, donnée à Cologne le 11 mars 1915, à exposer le rôle que les femmes joueront désormais dans la Weltpolitik allemande[1].

  1. Frauen und Weltpolitik. (Deutsche Kriegsschriften, XVIII, Bonn. 1915.)