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parfaite à tous les degrés, un peuple qui possède une démocratie puissante et organisée, un mouvement féministe vigoureux, se serait laissé entraîner sans protester, par un seul homme, fùt-il Kaiser ou Kronprinz, dans cette politique d’aventures, dans cette mer de sang ? Croyez-vous donc réellement que le peuple allemand tout entier, 68 millions d’hommes, depuis l’Empereur jusqu’au plus rouge socialiste, ait été pris de folie subite ? Pas un homme en Allemagne n’a voulu la guerre, entendez-vous, pas un ! Nous y avons été contraints par la plus lâche des perfidies. »

Et voilà ! C’est l’argumentation même des quatre-vingt-treize intellectuels. Cherchez la preuve, objectez des faits et des textes, demandez une enquête ou une vérification. On vous répondra : « Impossible ! Invraisemblable ! Inadmissible ! Or ce qui est impossible n’arrive pas, ce qui est invraisemblable n’est pas vrai, nous n’admettons rien de ce qui est inadmissible en raison. A priori et les yeux fermés, nous déclarons que l’Allemagne n’a pas voulu la guerre, mais y a été poussée à son corps défendant, et que ses soldats, sortant de l’école allemande, ont eu partout une conduite exemplaire. » Ne sait-on pas, au demeurant, que les Allemands aiment et protègent les œuvres d’art ? Ne sont-ils pas les meilleurs archéologues, les plus soigneux bibliothécaires, les plus minutieux collectionneurs ? S’ils en sont venus à détruire Louvain, ce doit être pour de bonnes raisons, et le cœur leur en a saigné. « La populace belge n’a certainement pas regretté moitié autant que nous-mêmes et nos soldats ce dont elle-même a été cause, en obligeant nos troupes disciplinées à ce moyen extrême de légitime défense. »

On invoquera vainement les faits : Mme L. Niessen-Deiters ne sait que répéter la leçon officielle que tous les Allemands ont reçue et acceptée en août 1914 : que la mobilisation russe est cause de tout le mal, que la Belgique n’était point neutre, que la flotte anglaise croisait déjà à l’entrée de la mer du Nord. Les avions-fantômes qui ont causé aux Rhénans tant de frayeurs rétrospectives figurent en bonne place dans cet arsenal de preuves… Je n’insiste pas sur ces faits, parfaitement connus du public français, mais je note en passant que, pour la Belgique, L. Niessen-Deiters comme L.-D. Frost, n’a que sarcasmes et dureté. Pour la France, au contraire, elle ne se défend pas d’une certaine indulgence. Vivre quarante-trois ans d’un rêve violent,