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plus démocrate, l’autre plus nationaliste, nous retrouvons toujours et partout ces thèses immuables : supériorité de la culture allemande et du travail allemand, triomphe nécessaire de l’Allemagne qui représente la race blanche pure et que son génie prédestine à « organiser » l’Univers. Il s’y joindra chez Lily Braun plus de mysticisme guerrier et « cultural, » chez Leonore Niessen-Deiters plus de haine basse et d’injure ; mais l’entente reste foncière.

Sans doute, avoue Lily Braun, la femme souffre profondément de la guerre ; tout son bonheur y périt. C’est elle qui a gémi le plus haut sur le cataclysme qui détruit toute civilisation, toute culture ; « car pour elle la culture équivaut aux douces vertus de la paix, au calme, à la douceur du foyer. Peut-être est-elle cause qu’on ait trop souvent identifié le bien-être, voire le luxe, avec la culture[1]. » Or il apparaît que la civilisation a survécu à la guerre et à ses désastres ; des œuvres d’art ont pu périr, des trésors de science et d’érudition devenir la proie des flammes : qu’importe, au fond ? Les pierres et les livres sont choses extérieures et mortes, la civilisation vraie est intérieure et vivante ; Elle est une certaine capacité de sentir et d’agir, une certaine réceptivité intérieure, une disposition du cœur, de l’esprit et de la volonté à répondre aux impulsions supérieures, un don d’inventivité aussi, et de création toujours nouvelle. Un peuple cultivé est celui chez qui les forces combinées du passé et de l’éducation produisent ainsi des énergies vivantes. Certains peuples ont été cultivés dans le passé et ne le sont plus ; d’autres sont arrivés à la puissance, mais non à la culture. L’Allemagne, également distante de la grossièreté primitive et de la décadence, représente la nation cultivée qui ne saurait périr : « La guerre peut détruire des œuvres de culture, mais beaucoup moins que jadis, où dans l’incendie d’un monastère pouvaient périr les trésors de la littérature universelle. Elle peut bien dépouiller un peuple intellectuellement stérile d’une grande partie de son patrimoine cultural, mais elle ne détruit jamais de la culture vivante[2]. » Remarquons en passant d’où vient cette dangereuse théorie de la Kultur au nom de laquelle on condamne comme « intellectuellement stériles » des peuples tels que le peuple français et le peuple belge et l’on justifie

  1. Lily Braun, Die Frauen und der Krieg, p. 37.
  2. Ibid., p. 39.