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elle trouve dans le testament de Pierre le Grand sa dernière expression théorique et se concrétise une dernière fois dans l’œuvre de Napoléon, son génial interprète, qu’elle a porté aux nues, mais pour le briser aussitôt. Sous une forme un peu modifiée, grâce à la formule plus moderne de la « maîtrise des mers, » l’Angleterre du XVIIe et du XVIIIe siècle a été le très brillant champion de cette politique impérieuse. Mais l’Empire britannique, fondé sur la force seule, manquera toujours de cette vie intérieure, de cette chaleur patriotique, de cette cohésion nationale fervente que, seules, connaissent les nations fondées par la libre volonté de tous leurs citoyens, unis dans un désir commun de force et de puissance. Les Allemands ne souhaitent pas d’avoir jamais l’hégémonie. « Ce n’est pas dans leur caractère ; ils sont trop bien doués pour le désirer, trop peu exclusifs[1]. » Il leur suffit d’être, au centre de l’Europe, cette nation vigoureuse, cohérente, unanime et saine que Frédéric II, puis Bismarck et Guillaume Ier ont su constituer avec la substance allemande groupée autour du noyau prussien.

S’ils ne veulent pas de l’hégémonie, iront-ils se réclamer d’un ancien idéal français, celui d’Henri IV, l’équilibre européen ? Idée séduisante à première vue, et qui a pour elle des apparences de raison et de justice ; idée pernicieuse en réalité et pleine d’un poison subtil, « idée véritablement meurtrière, qui est depuis trois cents ans l’obstacle le plus formidable au progrès européen[2]. » A-t-on jamais vu l’équilibre profiter à d’autres qu’aux débiles et aux inaptes, coalisés contre le fort, l’intelligent et le capable qu’ils veulent écraser ou ligoter ? Il faudrait « rire au nez de quiconque invoque cette formule. Equilibre a toujours signifié sept contre un[3]. »

L’Allemagne ne veut ni de l’hégémonie, car elle est clairvoyante ; ni de l’équilibre, car elle n’entend pas qu’on la gêne ; ni de l’anarchie, cela va de soi. A quoi prétend-elle donc de nouveau et qui n’ait pas été son lot dans le passé ? Il ne faut jamais aller chercher très loin les deux ou trois sources, toujours les mêmes, où s’abreuvent les nationalistes allemands. Lucia-Dora Frost n’a qu’une formule à proposer, et c’est la formule de Paul Rohrbach : Collaboration, Coopération[4]. Formule a

  1. Article cité, p. 1595.
  2. Article cité, p. 1595.
  3. Article cité, p. 1595.
  4. C’est l’idée que développe Paul Rohrbach dans son livre célèbre sur L’idée allemande dans le monde (Der deutsche Gedanke in der Welt. 4e édition. Berlin, 1912.) Leonore Niessen-Deiters, qui préconise également la formule de « coopération » entend par là, tout comme Rohrbach et L.-D. Frost, que les Allemands imposeront aux autres peuples d’Europe, barbares ou décadens, leur forme d’esprit et leur organisation. Frauen und Weltpolitik, p. 22-24.