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recommandations pour la mère, l’épouse, le vieux père ou la fiancée. Jamais une plainte. C’est la rançon de la France. Ils le sentent et le répètent. Après une sérieuse opération, j’ai célébré la sainte messe au pied de la croix du cimetière du village. Vous dire l’émotion qui étreignait toutes les poitrines, c’est impossible. Le célébrant lui-même dut, à plus d’une reprise, recommencer les prières liturgiques… C’était une scène indescriptible.


Nous en croyons volontiers sur parole le témoin qui se fait tuer, comme eût dit Pascal. Si une guerre comme celle-ci n’avait pas une signification religieuse, ce serait la plus monstrueuse des absurdités, et c’est ce que tout le monde sent plus ou moins obscurément. Pour toutes ces âmes angoissées, la vertu des vieux symboles redevient présente et vivante. Le temps du scepticisme léger, irréfléchi, est passé ; ils ne raillent plus, ceux qui vont mourir :


A minuit, contre-attaque. Les bataillons avancent, peu à peu, dans l’ombre ; tandis qu’ils attendent l’heure du carnage, dissimulés par petits paquets derrière les tranchées ou les ruines, je passe au milieu d’eux, avant les âmes. Enfin, l’heure approche ; ils mettent baïonnette au canon. La Providence m’a si bien placé que tous, au moment de s’élancer à l’assaut, défilent devant moi. Un jeune et beau gars, imberbe, s’approche, lui aussi, et demande non pas l’absolution, mais le baptême…


Après l’assaut, les enterremens nocturnes :


Une section entière est en armes… Je salue militairement, puis me découvre et récite les prières de la levée du corps et de la bénédiction de la tombe. Puis on procède à l’ensevelissement. Tout cela à la lueur d’une lanterne aux rayons tamisés, et souvent au bruit plus ou moins lointain du canon. Plus d’un qui, demain, ira bravement se faire tuer, verse une larme. Et je vous assure qu’à chaque fois je suis très ému.

— Dimanche dernier, — écrit un autre, — j’ai dit ma messe dans une carrière, véritable catacombe… La messe fut dite au matin pour échapper à tout regard indiscret, car nos soldats venaient de différentes carrières voisines. En une vraie nef large et longue étaient nos hommes : l’autel, composé de deux balles de paille régulières, blanches et dorées, se détachait sur le mur taillé ; la flamme d’acétylène projetait une lumière abondante. Les comparaisons venaient d’elles-mêmes ; c’était bien le Christ de Noël sur la paille, venant, malgré les batailles, apporter la meilleure paix aux hommes.


Ces comparaisons, l’officiant, nous pouvons en être sûrs, n’a pas été seul à les faire. Ceux qui ont assisté à des scènes de cette nature en rapporteront des impressions inoubliables. Dirons-nous, avec un prêtre brancardier dont la lettre est {