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Cet héroïsme joyeux correspond, à n’en pas douter, à certains instincts permanens de la race, mais il a aussi un indéniable fondement moral. Tous ces soldats qui, hier encore, songeaient si peu, pour la plupart, à faire la guerre, sont profondément pénétrés de la justice, j’oserai dire de la sainteté de la cause qu’ils défendent. Ils savent qu’ils sont les soldats du droit, et non pas seulement du droit français, — l’Allemagne, elle aussi, invoque un prétendu droit allemand, — mais du droit humain. Ils savent que la liberté et la moralité du monde seront le fruit de leur victoire, et que l’avenir de la France n’est pas ici seul en cause. Et ils savent que tout ce qui, chez les autres peuples, n’a pas une âme d’esclave, est de cœur avec la France libératrice. Ils n’ont, pour s’en rendre compte, qu’à voir se battre sur notre propre front nos troupes coloniales. Un jeune Arabe, de Mostaganem, fils d’un homme qui a servi vingt-cinq ans sous nos drapeaux, écrit à l’amiral de Marelles une lettre aussi touchante qu’incorrecte : « Je m’engage marin dans la torpille de guerre, volontairement, comme naturalisée française pour défendre la patrie, notre mère, la France, pour taper sur les Autrichiens et les Prussiens, partout où mon amirale voudra nous conduire, fût-ce au tonnerre de Dieu. » — Un autre, caïd de la province de Constantine, regrette d’être trop vieux pour aller venger « ses frères de 1870, » et écrit à son fils blessé :


Mon cher enfant, les miens ainsi que moi, nous prions pour que tu sois vite guéri, afin que tu puisses retourner sur le champ de bataille, pour te venger de cette race maudite d’Allemands, ce peuple sans cœur, qui ne possède pas la moindre notion de justice, ces vandales qui veulent envahir notre chère France ! Mais le cœur des Français est grand, et leur valeur guerrière plus grande encore ; leur courage vient de ce qu’ils combattent pour le drapeau tricolore, l’emblème de la justice, de la grandeur d’âme et des bons sentimens… Dieu sera avec la nation juste pour écraser l’Allemagne, et la rayer de la carte de l’Europe. J’espère que la présente te trouvera rétabli et prêt à repartir, pour prouver la valeur des turcos et montrer à tous les peuples que les Arabes savent défendre leurs bienfaiteurs. La France a fait de nous des hommes, c’est le moment ou jamais pour nous de nous montrer dignes d’être appelés ses enfans.


Est-ce que de telles lettres ne sont pas la meilleure justification de l’œuvre coloniale et civilisatrice de la France ? Si nous possédions des lettres des indigènes du Cameroun, on y verrait sans doute que l’Allemagne, dans ses colonies, a entendu la « Kulture » d’une manière un peu différente.