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Inspirées de ces sentimens, ennoblies par ces pensées, les séances publiques de l’Institut de France, pendant la guerre, ont répondu à l’attente d’un auditoire habitué dès longtemps à goûter, dans ces assemblées de lettrés, d’artistes et de savans, un rare et délicat plaisir, mais désireux d’y trouver désormais, avec la proclamation éloquente des vérités éternelles qu’a répandues en tous lieux l’incessante propagande des Lettres françaises, l’aliment idéal des esprits inquiets et des cœurs angoissés.

C’est pourquoi, dans la mémorable journée du lundi 26 octobre 1914, la science française, qui est désintéressée, humaine, libéralement docile aux dictées d’un idéal moral ; les Lettres françaises, qui, depuis que la France existe, n’ont jamais cessé d’être conseillères de droiture, ouvrières de civilisation universelle et de progrès humain ; l’Art français, qui est épris d’harmonie et de lumière, tenaient leurs assises solennelles sous la coupole du palais Mazarin, à la séance publique des cinq classes de l’Institut de France. C’était la première séance publique de nos cinq Académies, depuis le jour où l’agression voulue, préméditée, organisée, glorifiée par l’Allemagne meurtrière et pédante, avait troublé la paix du monde et déchaîné sur l’humanité’ une effroyable catastrophe. C’était le moment où les représentans officiels de l’intellectualisme allemand osaient élever la voix et redresser la tête en face de l’univers, étonné d’un si monstrueux cynisme, pour proclamer la complicité de la science allemande et du brigandage prussien. Professeurs des universités que les princes allemands ont fait bâtir auprès de leurs casernes pour faire marcher ensemble et d’un seul mouvement leurs escouades de grenadiers et leurs équipes d’étudians, ces « intellectuels » d’outre-Rhin, enrôlés et gagés au service de la dynastie des Hohenzollern, semblaient rivaliser de zèle pour donner raison au poète de la Légende des siècles, qui a dit en un vers trop peu connu :

… Le cuistre aide le reître.


Ces « barbares savans, » ainsi que les appelle M. Emile Boutroux d’un mot qui restera comme une flétrissure, montraient, une fois de plus, que Frédéric II ne s’est pas trompé, lorsqu’il a dit, en parlant des professeurs allemands qui travaillent pour le roi de Prusse : « Je commence par prendre, je trouverai toujours des savans pour prouver mon droit. »