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Le moujik, qui avait supporté la privation pour le bien général, trouva au bout de plusieurs semaines que la vie sans vodka était possible. Le travail, plus demandé qu’offert, jouissait de salaires supérieurs ; l’argent gagné fut dépensé en vêtemens, bottes et nourriture meilleure. Le peuple alors comprit que la vie sans vodka était non seulement supportable, mais plus heureuse ; aussi ne veut-il plus être tenté : « Aussi longtemps qu’il n’y a pas de vodka, dit-il, nous ne nous en soucions point ; mais que l’on rouvre une fois les monopolkas, nous boirons tout autant que par le passé. » Telle est la nouvelle attitude du moujik.

L’impôt rapportait 600 millions de roubles ; mais l’augmentation moyenne de 10 pour 100 du travail des ouvriers russes représente bien davantage, et diverses taxes nouvelles ont aisément comblé déjà le déficit des droits sur l’alcool et la bière. Car le commerce de la bière et celui du vin ont aussi été défendus dans les campagnes et dans la plupart des villes. Peut-être même y a-t-il là quelque exagération, d’après le ministre de l’Agriculture, qui déclare souhaitable la vente de la bière et du vin, dans l’intérêt de la tempérance, pour combattre la distillation clandestine et la diffusion de substituts dangereux.

Les brasseurs russes ont fait valoir que leurs établissmiens, au nombre d’un millier, représentant un capital de 500 millions de francs, payaient 60 millions de francs d’accises et produisaient pour 400 millions de francs de marchandises. Les municipalités, du reste, ne proscrivent pas toutes uniformément les boissons alcooliques : le vin, défendu à Petrograd, se vend à Tsarskoié-Selo et Pavlovsk, d’où il est permis de le porter dans la capitale ; interdit à Moscou, il y est introduit par Kalouga, distant de 175 kilomètres.

Mais, dans son ensemble, l’hostilité de l’opinion russe contre l’alcool est formelle et absolue : « Doit-on empoisonner le peuple, dit-elle, pour sauver les revenus de 5 000 fabricans de vodka et de quelques milliers de brasseurs et ère viticulteurs ? » Nous avions en janvier 1914, dit le ministre des Finances, « 8 500 Caisses d’épargne et 25 000 débits officiels d’alcool ; j’espère avoir bientôt le contraire. En tout cas, le chiffre des économies confiées à ces caisses est passé de 15 à 200 millions par mois, formant aujourd’hui 6 milliards de francs appartenant surtout à des paysans.