Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/874

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étoile a souvent forcé les propriétaires américains eux-mêmes à en arborer un autre. Maintenant les Etats-Unis, brusquement privés de navires au début de la guerre, veulent à tout prix avoir une marine qui les libère de toute dépendance vis-à-vis de l’étranger. « Sur mer, nous ne sommes pas encore un peuple libre, » disait, il y a quelques mois, leur ministre du Commerce.

Ils avaient songé à acheter, en 1914, les bateaux allemands internés dans leurs ports ; en 1916, la pensée qu’ils pourraient prendre gratis cette flotte de 1 240 millions de francs a peut-être indue sur la réponse de Guillaume II à M. Wilson. On s’est dit à Berlin que l’Amérique serait ainsi mise en posture d’ « usurper, » dans la période qui suivrait immédiatement la paix, l’ancien trafic maritime de l’Allemagne. A tout hasard celle-ci travaille et ajoute encore de nouveaux liners à ceux qui déjà languissent embouteillés à Brème et à Hambourg. Nul ne sait pourtant, dans cette guerre, où 3 millions de tonnes de vapeurs et de voiliers ont été déjà anéantis, quelles seront les prétentions du vainqueur sur les navires du vaincu ?

Mais, sans attendre la fin des hostilités, les Américains, qui avaient 1 500 millions de francs placés dans la navigation cosmopolite, et qui ont fait naturaliser leurs paquebots rapides ou leurs tramps de charge jusqu’à concurrence de 600 000 tonnes, ont fiévreusement entrepris des constructions navales sur une échelle inconnue jusqu’ici dans leur histoire. Ils ont élargi leurs établissemens, multiplié les cales et préparé les matériaux. Les commandes sont venues, plus abondantes encore qu’on n’avait osé le prévoir ; aujourd’hui 1 340 000 tonnes sont en chantier et la progression ne cesse de croître. La mise à l’eau dépasse un million de tonnes par an, soit plus de moitié de la meilleure année des chantiers anglais avant la guerre. Etant donné que les Etats-Unis possèdent le fret lourd qui constitue le fond des chargemens de mer : bois, charbon, fer, céréales, la marine marchande y rencontre un champ privilégié.

Rien que pour les tankers, les réservoirs flottans qui portent le pétrole d’un continent à l’autre, la Standard Oil et ses rivales sont en train de dépenser 300 millions de francs. L’Etat a publiquement annoncé son intention d’intervenir, soit par des subventions directes, soit par des tarifs préférentiels en faveur des marchandises importées sous pavillon américain, soit en construisant à ses frais des navires de commerce qui seraient