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Dans l’ordre matériel, en même temps que la science et l’industrie, bandées exclusivement vers la destruction, multiplient sur ce terrain des découvertes tenues secrètes aujourd’hui, mais qui étonneront plus tard ; tandis que l’Europe, avec un dédain superbe, jette l’argent sans compter, une révolution mondiale s’accomplit en silence, d’où la position respective des continens sortira transformée : Athènes et Moscou commandent maintenant leurs étoffes à Chicago, et le Japon organise au Chili une exposition générale de ses produits, qui viennent, par le Grand Océan, remplacer ceux que n’apportent plus les bateaux transatlantiques.

Si la guerre se prolonge, — et il est nécessaire qu’elle se prolonge aussi longtemps qu’il le faudra pour mettre les Empires centraux dans l’impossibilité de nuire, — vainqueurs et vaincus y auront perdu la moitié de leur capital, puisque les États belligérans seront grevés, sous forme de dette flottante ou consolidée, d’émission de papier garanti par eux, de pensions à servir et de réparations à effectuer, d’un passif égal à la moitié peut-être de la fortune privée, — mobilière ou foncière, — de leurs citoyens.

Mais entre ces belligérans tous à demi ruinés, l’indemnité de guerre viendra-t-elle détruire l’équilibre, distancer les vainqueurs et les vaincus, en faisant porter à ces derniers une surcharge au moment où ils se lanceront à nouveau sur la piste des affaires ? Cette rançon de guerre accroîtra les frais de la production industrielle des Empires centraux, en les forçant à établir des taxes qui feront renchérir la main-d’œuvre, si les salaires augmentent, et la raréfieront, si les ouvriers, réduits à des salaires de famine, émigrent en masse comme par le passé.

La défaite des milliards de l’ennemi, le démembrement de son argent, seraient de haut intérêt politique. Il est vrai que l’argent n’est plus autant qu’autrefois le « nerf de la guerre, » parce que les gouvernemens modernes n’achètent plus les hommes comme jadis, et prennent à crédit, par réquisition, les choses qui se trouvent sur leur territoire ; mais une nation pauvre est tout de même moins puissante qu’une nation riche.

Quelle que puisse être l’indemnité espérée, elle se répartirait entre trop de bénéficiaires pour diminuer sensiblement la dette de chacun d’eux. S’ils veulent acquitter les intérêts des emprunts faits ou à faire, équilibrer leurs budgets et