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Avant tout, la paix doit être une paix sans victoire. Je demande qu’on me permette d’interpréter moi-même ces mots, et qu’on se rende compte qu’aucune autre interprétation n’a été dans ma pensée. Je cherche uniquement à me mettre en face des réalités, et à les envisager sans les adoucir ni les dissimuler. Une victoire, cela signifierait une paix imposée au perdant. Une victoire, ce sont des conditions qu’on oblige le vaincu à accepter. Elles seraient acceptées au milieu de l’humiliation, sous le coup de la contrainte, au prix d’un sacrifice intolérable, et elles laisseraient après elles une blessure, un ressentiment, un souvenir amer. C’est là-dessus que reposeraient les clauses de la paix, et elles n’y reposeraient pas d’une façon permanente, mais seulement comme sur un sable mouvant. Seule, une paix entre égaux peut durer, c’est-à-dire une paix dont le principe même est l’égalité et une participation commune à un bénéfice commun. Aussi bien pour faire une paix durable que pour régler équitablement les questions de territoires, de races ou de rattachement national qui sont controversées, il faut avoir l’état d’esprit qui convient, il faut faire régner entre les nations le sentiment qui convient.


Tel est le premier commandement de la Paix. Voici le second qui en découle : les nations doivent être considérées comme égaler en droit, c’est-à-dire indépendantes.

Cette indépendance est précisément une des conditions nécessaires de la paix kantienne.


L’idée de droit international, écrit le philosophe, suppose la séparation de nombreux états voisins et indépendans les uns des autres, et bien qu’un tel état de choses constitue déjà en soi un état de guerre (si une union fédérative de ces États ne pare pas à l’explosion des hostilités), cet état de guerre est plus conforme à l’idée de Raison que l’absorption des États par une Puissance qui les dépasserait et se transformerait en une monarchie universelle. (Paix perpétuelle, 2e sect., 1er sup., 2, p. 367.)


La nature exige cette indépendance ; elle empêche même la fusion des peuples et les sépare les uns des autres par leur langue et leur religion. La diversité des nations allume, il est vrai, des haines réciproques et provoque la guerre ; mais, dit Kant, « la culture grandissant et les peuples se rapprochant peu à peu les uns des autres, elle les conduit à unifier davantage leurs principes et à s’entendre dans une paix que fait naître et que garantit l’équilibre et la vive émulation des forces. » (Paix perpétuelle, 2e sect. 1er sup. 2, p. 367.)

M. Wilson admet cette thèse comme évidente ; il fait, lui aussi, de l’égalité des États non un dogme abstrait de morale mondiale, mais une garantie de paix durable. On lit dans le message :