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quoi aucune paix ne pourrait être conclue, et les hostilités dégénéreraient en une guerre sans merci (bellum internecinum)… On ne peut concevoir entre États une guerre de châtiment (bellum punitivum), (car il n’existe pas entre États des rapports de supérieur à subordonné). — D’où il suit qu’une guerre sans merci pouvant entraîner l’extermination des deux parties ensemble, et avec elle celle de tout droit, ne laisserait plus de place pour la paix perpétuelle que dans un vaste cimetière de l’espèce humaine. (Paix perpétuelle, 1re sect. 6, p. 346.)


Or une paix imposée au vaincu serait une paix mauvaise parce qu’acceptée avec une arrière-pensée. Et d’ailleurs qu’est-ce que la victoire ? Un simple acte de fait qui ne décide pas le droit, pas plus que la guerre ne le décide. La guerre n’a pas de finalité éthique ; ce n’est pas sur la guerre et sur la victoire qu’il faut fonder la paix, mais sur la volonté, la bonne volonté des peuples indépendans et égaux, à qui la liaison fait de la paix immédiate un devoir :


Les États ne peuvent jamais revendiquer leurs droits par un procès comme on le fait devant une cour de justice extérieure ; ils ne peuvent les faire valoir que par la guerre ; or, la guerre et sa terminaison favorable, la victoire, ne décident pas le droit[1], et un traité de paix met bien un terme, il est vrai, à la guerre actuelle, mais non à l’état de guerre (on peut toujours trouver un nouveau prétexte, qu’il n’est pas possible précisément de déclarer injuste, puisque dans l’état de choses [international] chacun est juge en sa propre cause). D’autre part, la situation des États, par rapport au droit international, n’est pas la même que celle des hommes qui vivent sans lois par rapport au droit naturel, lequel leur « impose de sortir de leur état » (parce que les États en tant qu’États ont déjà, une constitution juridique interne, et qu’ainsi ils ont atteint un développement interdisant toute contrainte de.la part d’autres États qui voudraient les soumettre, d’après leurs concepts juridiques, à une constitution légale plus étendue). Cependant, la Raison du haut du trône de la puissance législative et moralisatrice la plus élevée condamne purement et simplement la guerre comme voie de droit[2], et au contraire fait de l’état de paix un devoir immédiat ; or cet état de paix ne peut être fondé et garanti sans un contrat des peuples. (Paix perpétuelle, 2e sect., 2e art. définit., p. 355.)


Ainsi se trouve expliquée, semble-t-il, la paix sans victoire de M. Wilson, c’est-à-dire la paix qui ne laisse après sa conclusion aucune blessure, que l’on n’impose pas à un peuple, que l’on conclut avec lui d’égal à égal, non pour finir la guerre, mais pour commencer une ère nouvelle et heureuse de l’humanité

  1. Non souligné dans le texte.
  2. Non souligné dans le texte.