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internationale est contraire à la Raison, c’est-à-dire à la liaison pratique. La guerre est dégradante pour l’humanité. On ne peut voir sans un profond mépris les sauvages amoureux de l’indépendance sans règle au point de préférer la bataille continuelle au joug salutaire des lois ; mais que faut-il penser de peuples civilisés dont chacun forme un État, s’ils vivent plongés dans une barbarie belliqueuse ?

Cependant la guerre est le seul moyen dont peuvent user les États pour faire valoir leurs droits, car aucune puissance ne leur est supérieure et ne peut leur faire rendre justice. Il existe donc une antinomie entre la guerre, nécessité de nature, et le devoir de paix perpétuelle ; mais cette antinomie sera résolue par la Raison pratique : « Cherchez avant tout, proclame Kant, le règne de la pure Raison pratique et sa justice, et votre but (le bienfait de la paix perpétuelle) vous sera donné par surcroit. » (Paix perpétuelle, appendice I, p. 378.)

Kant pousse si loin sa réprobation de la guerre qu’il n’admet même pas la guerre civile entreprise pour détrôner un tyran. Sans doute, on a raison de déposer le tyran ; mais c’est un tort de le renverser par la guerre. Cette guerre, en effet, ne saurait être légale, puisqu’elle n’a pas été prévue dans le contrat social. Elle n’a pu d’ailleurs y être prévue, car l’article du contrat la concernant conférerait au peuple un droit sur le souverain, ce qui ne se conçoit pas. Que si pourtant le souverain est renversé par une révolution et redevient un simple citoyen, il n’a pas le droit d’user à son tour de violence pour reconquérir à nouveau le pouvoir ; en revanche, il ne doit aucun compte de son administration antérieure. La révolte, quels qu’en soient les motifs, est une vilaine page de l’histoire d’un peuple, il faut se hâter de la tourner pour n’y jamais revenir. De même de la guerre entre États.

Kant admet bien, il est vrai, qu’une violation du droit commise en un point du monde se fait sentir dans le monde entier ; mais il n’en tire pas argument pour légitimer la guerre. Il semble même aller plus loin et, refuser le caractère objectif à l’injustice internationale. Les États sont pleinement indépendans les uns des autres ; aucun supérieur ne leur est imposé, partant aucune autorité qui décide entre jeux du juste et de l’injuste ; à plus forte raison ne sont-ils pas juges les uns des autres. Les deux concepts justice et guerre ne se rencontrent