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Le pire est qu’à Turin, où advint cette mésaventure, les façons du baron, sa fâcheuse renommée avaient jeté du discrédit sur sa dupe innocente. Le chevalier s’aperçut vite qu’on le regardait de travers, qu’on le traitait avec une froideur offensante. Une dame de ses amies, interrogée par lui, l’informa du bruit qui courait qu’il n’était qu’un simple imposteur, « point gentilhomme, » et fils d’un obscur ingénieur, et que M. de Sennecterre, l’ambassadeur de France, refusait de le présenter à la cour de Piémont[1]. Sur quoi, d’Assay prit le meilleur parti ; il fut trouver M. de Sennecterre, lui conta son histoire, lui montra ses papiers, le renseigna sur sa famille : « Je lui appris ce qu’étaient mon père, mon grand-père ainsi que mon aïeul. » Le lendemain même, l’ambassadeur l’invitait à diner, le traitait avec distinction, et, le dimanche suivant, il le présentait à la Cour, ce qui faisait taire tous les bruits et confondait les calomniateurs.

Je ne suivrai pas le jeune homme dans ses pérégrinations diverses, à Milan, à Venise, puis dans les petites cours d’Allemagne. De ses lettres, longues et nombreuses, adressées à sa sœur, je ne citerai que deux menus fragmens, qui donnent une idée du reste. D’abord, cette brève esquisse du peuple piémontais : « Je ne crois pas[2]qu’il y ait un endroit où l’on soit plus ignorant avec plus d’esprit, pour les hommes et pour les femmes. Ce pays ressemble à ce qu’était autrefois la terre après le déluge, lorsque ni les sciences, ni les arts n’étaient encore inventés ; et la beauté de l’un et l’autre sexe fait ressouvenir du commerce qu’ont eu les anges avec les mortels. Au reste, on ne s’occupe que de tracasseries et de médisances. Le Piémontais est fin, fourbe et dangereux ami. »

Et voici, pour finir, la description d’une chasse à la cour de Bavière, où l’on verra quel goût, quel raffinement présidaient aux plaisirs de ces grands seigneurs germaniques. « De Munich, 5 novembre 1741. A neuf heures du matin, j’ai été à la Cour, et de là je montai dans un carrosse préparé pour plusieurs étrangers, et j’accompagnai les princes et princesses à cette fameuse chasse de Saint-Hubert. C’était à deux lieues de la ville. Nous arrivâmes à un bois entouré de marais, de là à une maison de bois qu’on avait préparée et assez proprement ajustée. Je m’approchai des fenêtres, et je vis devant moi une

  1. Lettre du 16 juin 1741.
  2. 24 juin 1741.