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Avec ces racontars prend fin, ou peu s’en faut, la chronique romaine du jeune homme. Depuis un certain temps déjà, il désirait quitter la ville, voyager et voir du pays, d’abord en Italie, puis dans une partie de l’Allemagne. Mais ses parens combattaient ce projet, La Pouplinière parce qu’il lui convenait que son beau-frère demeurât auprès de Tencin, Thérèse parce qu’elle redoutait les dépenses du voyage. Il y eut d’assez longs débats et des pourparlers laborieux. La Pouplinière céda enfin ; son consentement emporta toutes les résistances. Il fut donc entendu que le chevalier visiterait le Nord de l’Italie et le Sud de l’Allemagne, avec Francfort pour but et terme du voyage. Son beau-frère prenait à son compte les frais « d’hôtel, de postes, de gondoles ; » mais d’Assay s’engageait à être raisonnable. « Ce voyage, mande-t-il à sa sœur, coûtera sûrement bien de l’argent, et vous ne sauriez croire combien je tremble de déplaire à mon bon maître. Je puis vous assurer que je ne jetterai pas l’argent par les fenêtres. » Ceci dit, sa joie est complète, ainsi que sa reconnaissance : « J’irai affronter les froids de l’Allemagne. Les dangers me seront chers et agréables, s’ils servent à m’instruire et qu’ils puissent un jour vous amuser, quand j’aurai le bonheur de vous les raconter. M. le cardinal approuve ce voyage[1]. »

Des dangers, il n’en courut point ; mais les désagrémens ne lui firent point défaut. Il s’était affublé d’un compagnon de voyage, le baron de La Poujade, « gentilhomme de Castelnaudary, » âgé d’une cinquantaine d’années, sur lequel il avait, dit-il, reçu des renseignemens excellens, si bien qu’il fut convenu que l’on ferait « bourse commune. » Tous deux partirent de compagnie les premiers jours de mars. D’Assay emportait les regrets de toute la société romaine : « J’ai eu chez moi tous ces jours-ci, écrit-il à sa sœur, princes, ducs, évêques et généraux d’ordres. » Tout alla bien dans les premières semaines, jusqu’au moment où le chevalier s’aperçut que le baron de La Poujade était un aventurier sans scrupule, viveur, fripon, tricheur au jeu. Une explication s’ensuivit ; et le baron fila un beau soir, emportant la voiture, les effets et la malle de son naïf compagnon de voyage. D’Assay eut bien du mal à en rattraper une partie.

  1. 1er février 1741.