Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/841

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils ne l’avaient promis, pour se procurer des pontes…

« Quand j’entrai, je cherchai à faire danser mes masques[1] et à les faire placer commodément ; j’allai ensuite chercher les aventures. Le bal se donnait dans le palais qu’occupait en été le cardinal de Rohan ; il y avait trois salles à danser et trois salles de jeu, entremêlées. On entrait ensuite dans un superbe salon, où M. le cardinal tenait sa salle, et qui était orné de miroirs et de lustres en quantité ; dans le fond, un orchestre nombreux, où il pouvait y avoir de cinquante à soixante instruirions. Autour de la salle, les masques étaient placés sur des gradins fort élevés ; au milieu était une enceinte pour les dames, qui étaient réellement toutes mises superbement et chargés de diamans. Le prince de Galles s’y trouvait, habillé à l’écossaise, avec quantité de pierreries qui effaçaient sans contredit toutes celles qui étaient là, quoiqu’il y eût de beaux morceaux.

« Je m’arrêtai pendant quelque temps à voir Mme  Patrizzi, une de nos femmes galantes[2], de laquelle je crois vous avoir parlé plusieurs fois, qui dansait avec un masque, que je reconnus pour être monseigneur Accaioli, prélat petit-maître, qui, depuis quelque temps, était soupçonné d’avoir avec elle quelque liaison secrète. J’en fus bientôt éclairci, quand je jetai les yeux sur monseigneur majordome, le favori du Pape, lequel écumait de rage. « Bon, dis-je, je rirai tout à l’heure. » Le menuet fini, la dame vint reprendre sa place, qui était auprès du susdit majordome, lequel se leva et sortit de la salle. La Patrizzi, qui le vit si agité, ne jugea pas à propos de le laisser dans cet état-là longtemps ; elle le suivit. Moi, qui n’avais pas perdu un coup d’œil, je la suis à mon tour, et nous voilà tous trois dans un petit cabinet ; je m’éloignai, mais cependant de façon que je pusse voir tout ce qui se passerait ; j’entendis une partie des injures et des menaces qu’ils se firent, et la conversation s’échauffait de façon que je craignais que l’ecclésiastique n’en vint aux voies de fait, quand arriva une autre dame masquée, qui ajusta heureusement tout. Lorsque je vis les choses en si bon état, je pus rejoindre ma compagnie, avec qui je dansai jusqu’à la fin… »

  1. C’est-à-dire les dames masquées qu’il avait amenées avec lui.
  2. Cette expression, au XVIIIe siècle, n’avait pas le même sens que de nos jours.