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milieu, fait serrer les carrosses à droite et à gauche, et va donner le signal pour la course des chevaux barbes. Les Romains attendent ce moment-là avec impatience. Le prix est d’une demi-pièce de velours ou de brocart, pour celui qui arrive le premier à la place Saint-Marc. Ce sont les Juifs qui fournissent ces prix, étant obligés autrefois de courir à la place des barbes, le corps à moitié nu. Ils étaient insultés par la populace, qui les maltraitait avec cruauté. Pour se racheter de cette infamie, ils fournissent les susdits prix… On va, à sept heures de France, à l’Opéra, qui dure jusqu’à minuit. On y va en habit de masque, mais à visage découvert, l’ordre étant qu’on ne peut aller masqués par les rues passé l’Ave Maria, et quiconque serait trouvé ainsi serait mené en prison. De l’Opéra, on va au bal dans les maisons particulières. Le curieux est de voir les moines et les prélats masqués, les cardinaux aux fenêtres, et quelquefois masqués au bal. Ce qu’il y a d’admirable, c’est la tranquillité avec laquelle chacun songe à ses affaires. Pas le moindre tapage, pas le moindre embarras… La noblesse doit donner des bals, et c’est là où il y aura de bonnes histoires, que je vous écrirai par le prochain ordinaire. »

Fidèle à sa promesse, d’Assay, cinq jours plus tard, vient narrer à sa sœur les incidens des bals mondains et ses petites aventures personnelles, qui d’ailleurs, ainsi qu’on verra, n’ont rien de bien effarouchant et dont sa mère elle-même, l’austère Mimi Dancourt, ne pourrait se scandaliser. « 17 février 1741 Nous sommes enfin délivrés du carnaval, et l’on peut dire que, pendant ces huit jours, messieurs les Romains sont fous pour plus de deux ans. La santé, ni la bourse n’y sont épargnées ; le plus petit, comme le plus grand, quand il ne devrait manger que des carottes le reste de l’année, dépense ces jours-là tout ce qu’il a d’argent en mascarades et opéras. Les bals qu’ont donnés li cavalieri romani étaient fort beaux et bien entendus, à la confusion près. Le peuple, affolé de spectacles, y était en si grand nombre que les dames ne pouvaient approcher de la porte, et plusieurs tombèrent évanouies sur les escaliers, pressées et maltraitées par la foule. On avait tâché de suppléer à cet inconvénient en donnant des billets, mais la plus grande partie se trouvèrent falsifiés. On prétend même que les cavaliers qui étaient intéressés dans la banque de pharaon firent entrer les gens et donnèrent des billets beaucoup plus nombreux