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à amuser sa sœur d’une série d’anecdotes sur la société qu’il fréquente. Voici un malicieux croquis du cardinal de La Tour d’Auvergne, qui, arrivé tard au conclave, était resté à Rome une fois l’élection terminée. C’était un brave homme, de mœurs simples, ennemi de l’étiquette pompeuse qui entourait alors les membres du Sacré-Collège. « Le cardinal d’Auvergne, mande d’Assay à sa sœur[1], nous a donné ici des scènes charmantes. Un très grand seigneur de ce pays-ci s’était fait un honneur de lui servir de maître de chambre, comme c’est la coutume, et il réglait les pas de notre cardinal, qui ne pouvait sortir de sa chambre que par compas et par mesure. Plus d’une fois, oubliant qu’il était sous sa direction, il s’émancipait, en courant au-devant de quelqu’un ou en voulant l’accompagner. Alors le maître de chambre courait à lui et l’empêchait à toute force de sortir… Je l’ai vu dans des mouvemens d’impatience dignes de Sancho Pança, lorsqu’il était gouverneur de l’île et qu’on l’empêchait de manger. « Eh ! quoi, monsieur, lui disait-il, ne serai-je pas le maitre de faire ce qu’il me plaira dans ma maison ? » L’autre, qui n’entendait pas le français, ne répondait que par une profonde révérence et, croyant qu’il lui demandait l’explication de ce cérémonial, se lançait dans de longues considérations en italien sur ce qu’exigeait la dignité cardinalice. Le cardinal d’Auvergne était alors furieux : « Comment ! criait-il, on a pris plaisir à mettre auprès de moi des Italiens, qui ne me font que des révérences et ne savent point me parler une langue qui s’entende ! » C’étaient tous les jours de nouvelles scènes. »

Je détache encore ce portrait d’un prédicateur populaire : « Nous avons[2]un jubilé et un certain Père Léonard, espèce de capucin, qui prêche extraordinairement bien. Il n’est point dans la chaire, comme les autres prédicateurs. Il a un petit théâtre, sur lequel il monte, accompagné de deux pénitens blancs, l’un qui tient un christ et l’autre une discipline. Il vous damne tout son auditoire, si promptement ils ne font pénitence. Il finit par des appels aux cœurs ingrats et endurcis et, pour les amollir, il prend la discipline, qui est longue d’une à une et garnie de lames de laiton ; le frère, qui est derrière lui, lui découvre le dos et les épaules ; on entend alors des cris épouvantables dans l’église, accompagnés de perdono ! Le bon

  1. 1er octobre 1740.
  2. 15 novembre 1740.