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successivement la Princesse de Navarre, le Temple de la Gloire, d’autres morceaux encore, inutiles à énumérer ; et de l’intimité du poète et du musicien on peut juger par ce joli billet que Voltaire écrit à Rameau[1] : « Mon mariage avec vous m’est bien aussi cher que celui que je viens de faire (un projet de mariage pour-le duc de Richelieu, dont s’était occupé Voltaire) ; nos enfans ne seront pas ducs et pairs, mais, grâce à vous, ils seront immortels… Je me flatte que Mme Rameau est à présent debout et qu’elle chante au clavecin. Adieu, vous avez deux femmes, elle et moi. Mais il ne faut plus faire d’enfans avec Mme Rameau ; j’en ferai avec vous jusqu’à ce que je devienne stérile ; pour vous, vous ne le serez jamais… » Et tout cela, poèmes en vers, marivaudage en prose, se fait sous les auspices, sous les yeux de Mme de La Pouplinière, et avec ses encouragemens.

L’intimité, en de telles conditions, ne pouvait que se resserrer entre le grand compositeur et le grand financier. u M. et Mme Rameau, dit un contemporain[2], passaient pour ainsi dire leur vie chez M. de La Pouplinière, soit à Paris, soit à sa belle maison de Passy. » Mme Rameau n’avait pas tardé, en effet, à partager toute la faveur dont jouissait son époux dans l’hôtel fastueux du « Mécène. » C’était une femme intelligente, bonne musicienne, possédant « une fort jolie voix, » s’en servant avec goût. Elle chantait au clavecin les airs nouveaux du maître, et parfois aussi les romances de la façon du fermier général. Tous deux, la femme et le mari, avaient leur appartement attitré rue Richelieu comme à Passy. Le 5 décembre 1740, lorsque naît un fils à Rameau, Thérèse est sa marraine et on nomme l’enfant Alexandre, prénom du fermier général. Trois ans plus tard, le 28 septembre 1744, c’est La Pouplinière, à son tour, qui tient Marie-AIexandrine Rameau sur les fonts baptismaux[3]. Non content, comme nous l’avons vu, de remplir l’emploi d’organiste aux offices du dimanche, Rameau, dans les concerts, manie le bâton de chef d’orchestre ; il compose la musique pour les cantates, pour les couplets, pour toutes les pièces de circonstance et il se constitue ainsi le fournisseur patenté de l’hôtel de La Pouplinière. Cet échange de

  1. Sans date, probablement de 1734.
  2. Éloge historique de Rameau, par Maret.
  3. Cucuel, passim.