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quelque chose de si naturel, de si bon, à prendre intérêt à l’ouvrage d’un autre, à l’examiner, à le corriger, qu’il mérite plus que jamais le nom de Pollion. » Il n’en discute pas moins les corrections proposées à ses vers et il soutient, non sans raison, l’excellence de son propre texte, mais il le fait de bonne humeur et avec gentillesse : « Je fais tant de cas de l’esprit et de l’amitié de Pollion, que je lui dis mon sentiment sans aucun ménagement. Son caractère est au-dessus des simagrées, des complimens. Une vérité vaut mieux chez lui que cent fadeurs. »

Il s’élève bien, toutefois, quelques petits nuages passagers. A propos de nouvelles critiques sur un poème destiné à Rameau, Voltaire montre un peu d’amertume : « Je sais[1]que je n’ai jamais eu l’honneur de plaire à M. de La Pouplinière et qu’il pense sur la poésie tout différemment de moi. Je ne blâme point son goût, mais j’ai le malheur qu’il condamne le mien… Je ne me plains ni de M. de La Pouplinière, ni de personne, mais je vous expose seulement mes doutes. » Ailleurs, il débaptise Pollion pour le nommer Tucca, mauvais poète latin qui prétendît corriger l’Enéide. Mais ces légères piqueries sont de courte durée. Après avoir un peu boudé, Voltaire désarme et rend son amitié. Jamais, dans tous les cas, sa méchante humeur ne s’étend à Mme de La Pouplinière ; et il paraît, jusqu’à ses derniers jours, lui avoir conservé la sympathie dont il entourait sa jeunesse.

C’est que le tact et le goût de Thérèse maniaient avec plus de délicatesse l’orgueil chatouilleux des poètes. Elle possédait l’art difficile de dire son avis sans blesser. Marmontel lui rend sur ce point un précieux témoignage. Il lui avait, sur sa demande, donné lecture d’Aristomène, une de ses premières tragédies. « De tous les critiques, assure-t-il[2], dont j’avais pris conseil, ce fut à mon gré le meilleur. Après avoir entendu ma pièce, elle en fit l’analyse avec une clarté, une précision surprenantes, me retraça de scène en scène le cours de l’action, remarqua les endroits qui lui avaient paru beaux, comme ceux qu’elle trouvait faibles, et, dans toutes les corrections qu’elle me demanda, ses observations me frappèrent comme des traits de lumière. » Nous retrouvons ici l’héritage maternel. Peut-être le lecteur se rappelle-t-il Mimi Dancourt jugeant, encore enfant,

  1. Lettre à M. Berger, du 29 juin 1740.
  2. Mémoires, tome I.