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les veines. Ce que M. de La Pouplinière a fait pour moi, il l’aurait fait pour son fils. Par où ai-je pu mériter tant de bontés ? Vous ne sauriez croire combien je tremble de ne point paraître à ses yeux assez reconnaissant[1]. »

Convenons d’ailleurs que si Thérèse, pour elle et pour les siens, doit beaucoup à celui dont elle porte aujourd’hui le nom, elle s’acquitte de sa dette par les grands services qu’elle lui rend et par tout l’agrément qu’elle répand dans sa vie. L’attrait d’une maîtresse de maison jeune, jolie, spirituelle, admirablement douée, ne pouvait manquer d’attirer et de retenir la meilleure et la plus brillante société parisienne. À ceux qui jusqu’alors, dans le salon du financier, avaient principalement cherché une hospitalité fastueuse, une magnificence profitable, s’ajoute une clientèle plus désintéressée, qui goûte le charme de l’esprit, la séduction de la beauté, le commerce des arts, sous la forme la plus raffinée. On y entend la meilleure musique de ce temps, exécutée par les meilleurs artistes ; et les petits concerts intimes, où ne sont guère admis que les vrais amateurs, sont enviés par tous ceux qui n’ont pas l’heur d’y être priés. La maîtresse de maison y chante ou y joue du clavecin ; Rameau y accompagne Mme Carle Van Loo, la femme du peintre fameux, dont, écrit Marmontel, « la voix de rossignol » fait connaître au public français les plus beaux chants importés d’Italie.

Le public de ces réunions est choisi sans nul parti pris, avec un complet éclectisme. Auprès de Vaucanson, le mécanicien de génie, de La Tour, le grand pastelliste, au caractère fantasque et aux lubies inattendues, du bon Carle Van Loo et des plus grands musiciens, on rencontre les plus beaux noms de la littérature, Jean-Jacques Rousseau, Marmontel, Voltaire surtout, grand ami du ménage. C’est là, dit le duc de Croy, que « je vis pour la première fois M. de Voltaire et soupai avec lui, Mme du Châtelet et des esprits. Il me parut charmant et bien brillant dans la conversation. » Nous retrouverons bientôt quelques-uns de ces personnages.

L’hôtel de la rue des Petits-Champs, écrivait un contemporain, « était le rendez-vous des grands et des gens à talens de Paris. » La formule est exacte, car les gens de la Cour ne tardent

  1. Lettres des 2 juin et 23 septembre 1740.