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Elle prend même parfois en main la gestion des affaires et la direction du ménage ; car la vieille comédienne a l’esprit plus pratique, plus ordonné que les deux maîtres du logis, tout occupés de leurs plaisirs, aux dépens de leurs intérêts, et elle fait volontiers profiter ses enfans de sa longue expérience. « J’apprends par votre lettre, ma chère maman, écrit son fils[1], que vous êtes à Saint-Vrain, et que vous vous efforcez à y rétablir le bon ordre… Ah ! ma chère maman, que ce séjour doit vous êtes agréable ! Vous êtes utile au bon maître ! Que j’envie votre sort ! Tandis que moi, je ne lui suis qu’à charge… Je voudrais partager vos fatigues, si l’on en peut trouver, quand on a un aussi beau motif que la reconnaissance qui vous fait agir. »

Rien de plus justifié que cette reconnaissance. Le « bon maître, » en effet, — comme, dans le cours de cette correspondance, le chevalier d’Assay appelle constamment son beau-frère, — a pris complètement à sa charge l’entretien de toute cette famille. Il défraie entièrement les deux frères de Thérèse, aussi bien le cadet, Marc-Antoine de Courcelles, que l’aîné, Charles-Louis, le chevalier d’Assay. Ce dernier, particulièrement, bénéficie de ses largesses, tantôt sous forme de pensions et de crédit pour suivre sa carrière, en France, à l’étranger, au cours de ses voyages, tantôt sous forme de cadeaux, pour compléter son équipement et subvenir à ses frais de toilette. « Que de grâces n’ai-je pas à vous rendre, écrira-t-il ; je ne passe pas un jour de ma vie, sans recevoir des marques de vos bontés… Je viens de recevoir la veste que vous m’avez envoyée. Elle est très riche et d’un goût infini. Je ne la méritais pas si belle, assurément ; mais j’ai reconnu la main de mon bon maître, qui ne se borne jamais dans ses bienfaits. » Comme le jeune homme a le cœur bien placé, il ne laisse pas de souffrir quelquefois d’une pareille dépendance ; mais, en dépit de ce malaise, la gratitude ne pèse pas à son cœur. « Il serait ridicule à moi, ma chère sœur, de vous faire ressouvenir de l’état où je suis, sans biens, sans fortune… Ce qui m’est le plus dur, c’est d’être, malgré moi, à charge à M. de La Pouplinière, vous le savez aussi bien que moi. » Mais, après cet aveu, il ajoute aussitôt : « J’ai les mêmes sentimens que vous, ma chère sœur, ayant le même sang dans

  1. Lettre du 10 janvier 1741, passim.