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de l’âme de la race latine, et cela paraîtra étrange aux gens qui ne sont pas arrivés à libérer leur pensée des étroites formules de l’éducation scolastique, de cette éducation scolastique qui prévaut encore aujourd’hui dans nos écoles et universités américaines. Je leur rends ce petit hommage, et je passe.

« Ne souffrons donc pas chez nous de culture artificielle du patriotisme, ni d’autre chose. Je n’aime pas plus le cubisme en fait de patriotisme qu’en fait d’art ou de poésie. La poursuite de l’originalité par l’excentricité est d’un maigre rendement. D’une œuvre sans génie, l’ignorance du métier ne fera jamais qu’une œuvre sans génie.

« Aujourd’hui, la condition de notre pays est telle que nous perdons chaque année un certain nombre de nos citoyens. Des peintres s’en vont vivre en France, des écrivains en Angleterre, des musiciens et parfois des savans… quelque part ailleurs dans l’Europe continentale. Par accident, ils y trouvent leur profit personnel ; mais je n’ai qu’une chose à leur dire : qu’ils cessent de s’appeler Américains ! Je ne veux pas d’Américains-Français, ni d’Américains-Anglais. Qu’ils soient franchement Français ou Anglais. Dans le bilan de notre activité nationale, ils ne représentent rien ; ils ne rapportent rien au pays : il faut les passer aux profits et pertes : ce sont des quantités négligeables à tout point de vue. »


Ces fragmens et ma traduction ne donnent qu’une idée bien insuffisante de l’éloquence pittoresque de M. Roosevelt. Comment rendre cette verve robuste, ces formules nerveuses et colorées, ces trouvailles humoristiques, ces allusions sans cesse jaillissantes et toujours imprévues, — à moins qu’il ne plût à l’orateur de les faire désirer, — enfin tout ce jeu magnifique d’une personnalité puissante ? La salle, pendant tout le discours, fut tenue dans une excitation intense, en alerte et en joie. Mais comment rendre, surtout, l’impression, ou plutôt, la domination physique de cette parole ? M. Roosevelt s’est placé à côté du pupitre, de façon qu’aucune partie de sa personne ne fût cachée au public : il est là, campé au bord de l’estrade, la tête dans les épaules, comme prêt à foncer ; il parle, et tout son corps parle avec lui. Il assène sa pensée, avant de l’énoncer, par le regard lourd qu’il promène autour de l’assistance ; il fait sentir qu’il veut qu’on le croie, et qu’en effet on le croira. Il