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toutes les idées, toutes les formes de la beauté. Non, le Français ne se renferme pas en lui-même ; mais il demeure toujours bien Français. Pour nous, il y a de quoi nous rendre un peu mélancoliques, quand nous songeons au temps qu’il nous faut pour tirer de tous les matériaux fondus ensemble au creuset national un produit vraiment américain : rappelons-nous que, pour immense qu’est notre pays, les différences de race n’y sont point plus grandes qu’elles ne l’étaient originellement en France.

« Nous pouvons servir l’humanité dans la mesure où nous sommes nationalistes, au sens vrai, et non pas chauvin, du mot, dans la mesure où nous sentons en nous une âme nationale, et à la condition d’être dévoués d’abord à notre patrie. J’estime l’amitié d’un homme qui aime sa famille plus que moi. S’il ne tient pas à sa famille plus qu’à moi, je me doute qu’il ne tient pas beaucoup à moi. Ce qui est vrai dans les relations des individus ne l’est pas moins dans les relations des peuples. Il n’y a pas de créature plus désespérée, du point de vue de l’humanité, que l’individu qui s’appelle un cosmopolite, qui se répand sur le monde entier, et qui, à force de s’étendre, se fait si mince, qu’on voit le jour au travers en mainte place.

« Il y a encore une chose où la France peut nous donner des leçons, c’est pour notre besoin de direction, de chefs. Il ne peut y avoir une plus grande erreur, ni plus ruineuse, pour une démocratie, que de croire que la démocratie signifie : pas de chefs.

« Naturellement, il est difficile de marquer avec exactitude quelle efficacité peut avoir dans un cas donné l’action du chef, séparée de la volonté de la masse. Cette remarque est vraie dans la production d’une littérature et d’un art national, aussi bien que dans les autres ordres d’activité sociale. Sans doute l’individu peut quelque chose, et dans certains cas peut beaucoup à lui seul, mais la grande littérature, le grand art doivent jaillir de l’âme du peuple. Il faut des esprits directeurs aux périodes d’épanouissement, dans toutes les périodes d’épanouissement de toutes les nations artistes et lettrées, mais, pour que l’art, dans un pays, soit vraiment national, les esprits directeurs doivent utiliser la force et suivre l’orientation des grands courans de la vie nationale.

« La littérature latine n’a jamais été en réalité l’expression