Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’arbitraire, la vaine recherche et la puérilité. Non, la musique ne va pas si loin ; elle ignore ces chemins détournés et ces voies étroites. Assez d’autres, plus larges et plus libres, lui sont ouvertes. Entre elle et l’âme humaine il est des relations plus hautes et d’aussi délicats, mais plus simples rapports. Aussi bien Grétry ne les a point ignorés. Dans le chapitre qu’il intitule : « Des mœurs étrangères » (nous dirions maintenant : De l’exotisme, ou de la couleur locale), il donne au musicien qui traite un sujet étranger des conseils judicieux : « Le musicien doit se monter la tête au ton, quoique factice, que peut avoir tel peuple… Que quelques traits de caractère soient le type dont il tire souvent sa mélodie ; qu’un rythme original inventé par lui soit répété plusieurs fois dans le cours de son œuvre. Alors les spectateurs se feront illusion et croiront que c’est ainsi que parlent les Chinois, les Turcs, les habitans du Japon. Ils seront satisfaits, surtout si l’artiste a su faire une production aimable avec des traits bizarres. On m’a demandé si l’air de la romance de Richard était celui qu’on chantait jadis sur ces paroles anciennes. Non ; j’ai fait un nouvel air, mais j’ai tâché qu’on crût qu’il était vieux… »

« J’étais à Lyon lorsque je fis la musique de Guillaume Tell. Je priai le colonel d’un régiment suisse qui était en garnison dans cette ville, de me faire dîner avec les officiers de son corps. Au dessert, je dis à ces messieurs qu’ayant à mettre en musique le poème de Guillaume Tell, leur ancien compatriote, je les priais de me chanter les airs de ce temps et les airs des montagnes de la Suisse qui avaient le plus de caractère. J’en entendis plusieurs et, sans en rien copier, que je sache, ma tête se monta sans doute au ton convenable ; car les Suisses et les musiciens en général aiment le ton montagnard qui règne dans cette production musicale. » Ce ton, ou plutôt ce parfum de la montagne, une des filles du maître, connaissant le pouvoir expressif de la musique de son père, l’avait, en quelque sorte, respiré d’avance. Grétry rapporte qu’à Lyon, un matin d’été, comme il était en train de travailler à sa partition de Guillaume Tell dans la chambre de sa fille Antoinette, elle lui dit : « Ta musique a toujours l’odeur du poème : celle-ci sentira le serpolet. »

En somme, l’auteur des Essais a moins considéré la musique en soi que dans ses rapports avec les élémens de tout ordre