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peut plus prononcer. — Fort bien. — La comprenez-vous néanmoins ? — Oui, j’entends qu’elle se plaint, qu’elle dit à ses enfans, à son mari, à ses amis qui sont près d’elle : « Je me sens mieux, ne vous effrayez point. » — Eh bien ! dans cette circonstance et dans mille autres de tout genre, c’est là le principe de la musique sans paroles. »

Mais la musique avec paroles, voilà pour Grétry la véritable musique, la musique par excellence, et les paroles y ont presque autant de part que la musique elle-même. « La poésie doit être la fille obéissante de la musique. » Cela, c’est la formule de Mozart. Elle est exactement contraire à celle d’un Grétry comme d’un Gluck, ces grands serviteurs du verbe, et de notre verbe français. « Quelle est la nature que doit suivre le musicien ? La déclamation juste des paroles. » — Ou bien encore : « Il ne suffit pas, au théâtre, de faire de la musique sur les paroles : il faut faire de la musique avec les paroles. » Voilà des axiomes qui pourraient servir d’épigraphe aux Essais et dont les Essais ne sont, en partie, que le développement et la justification. A peine arrivé à Paris, nous dit Grétry, « je fus deux fois à l’Opéra, craignant de m’être trompé la première ; mais je n’en compris pas davantage la musique française… Je fus tout au plus quatre fois aux Italiens… On trouvera peut-être extraordinaire que le Théâtre-Français fût celui que je fréquentai assidûment… La déclamation des grands acteurs me sembla le seul guide qui me convint et je crois qu’un jeune musicien peut être fier d’avoir eu cette idée, la seule qui pût me conduire au but que je m’étais proposé : c’est-à-dire d’être moi, en suivant la belle déclamation… Oui, c’est au Théâtre-Français, c’est dans la bouche des grands acteurs, c’est là que la déclamation, accompagnée des illusions théâtrales, fait sur nous des impressions ineffaçables, auxquelles les préceptes les mieux analysés ne suppléeront jamais. C’est là que le musicien apprend à interroger les passions, à scruter le cœur humain, à se rendre compte de tous les mouvemens de l’âme. C’est à cette école qu’il apprend à connaître et à rendre leurs véritables accens, à marquer leurs nuances et leurs limites. »

Grétry poussait si loin ce respect, cet amour de la parole déclamée, qu’ayant soumis à la Clairon certain duo d’un de ses opéras-comiques (Sylvain), il en corrigea plusieurs passages, suivant les conseils et les intonations mêmes de la célèbre