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temps qu’à acheter, aux Austro-Allemands ? On n’efface pas de la carte, d’un coup de plume, un bloc de 120 millions d’habitans. Ce n’est pas par des tarifs de douane, mais par des ententes internationales, qu’on se défendra contre le dumping et toutes les manœuvres de concurrens déloyaux. Boycotter l’Allemagne ! Ce serait jeter les neutres dans ses bras, pour son plus grand profit. Détruire le commerce allemand, quand il serait possible, ne voit-on pas que ce serait détruire les moyens qu’aura l’Entente victorieuse de se faire indemniser par l’ennemi, en lui imposant le juste tribut que lui vaudront ses crimes ? Nous luttons pour la paix, et non pour la guerre ; pour la liberté, et non pour le profit.

Les libre-échangistes anglais avaient d’autre part beau jeu à montrer les difficultés que rencontrerait en pratique l’établissement d’un système douanier à tarifs multiples, tel que le proposent les protectionnistes. Régime de première préférence pour les colonies, régime de seconde préférence pour les alliés, régime moyen pour les neutres, régime de restrictions ou prohibitions contre les Puissances centrales : quelle complication inextricable, quel enchevêtrement d’intérêts inconciliables ! Les colonies, qui veulent faire entrer leurs produits en Angleterre à bon compte, offriront-elles à la mère patrie un traitement de réciprocité ? Les faveurs qui leur seraient accordées ne léseront-elles pas les alliés, la Russie par exemple, qui est, en fait de denrées alimentaires, le grand concurrent de l’Australie et du Canada sur le marché britannique ? La France ne serait-elle pas la première à souffrir, dans son exportation en Angleterre, de tarifs même préférentiels ? D’autre part, les neutres ne risqueront-ils pas de subir le contre-coup des tarifs de guerre contre l’Allemagne, si, comme il est à prévoir, l’exportation allemande s’organise sous raison sociale neutre ? Que de froissemens à prévoir, que de ressentimens à redouter dans les colonies anglaises comme chez les alliés, et chez les neutres dont la sympathie doit être chère à l’Entente !

Entre la poussée protectionniste et la réaction libre-échangiste, la position du gouvernement anglais, gouvernement de coalition qui comprend, avec une majorité de libre-échangistes, plusieurs conservateurs tariff reformers, était difficile. Force lui était de se tenir sur la réserve, en évitant de se prononcer. Quand fut annoncée la réunion de la Conférence économique de