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Cela veut-il dire que, la guerre finie, New-York supplantera Londres, comme Londres jadis a supplanté Amsterdam, en tant que marché de l’or et du crédit ? Le Dollar détrônera-t-il le Sterling ? S’il est vain de prophétiser, on ne peut s’empêcher de remarquer que les Anglais ne sont pas sans défense dans cette lutte qui s’annonce entre Wall Street et la Cité. La finance suit le commerce, et c’est la suprématie commerciale, — ajoutons : maritime et coloniale, — que les Américains auront à conquérir, avant de conquérir la suprématie financière. Ce qui fait la force financière de l’Angleterre, ce n’est pas tant sa richesse que la puissance de son commerce, partant celle de sa marine, de son empire colonial, sans oublier les deux pièces maîtresses de son armature économique, le libre-échange et « l’or libre. » Si elle réussit à maintenir jusqu’à la fin de la guerre la liberté de l’or, tout en payant pour elle-même et pour ses alliés d’énormes sommes à l’étranger, elle aura obtenu, comme dit sir E. Holden, « un triomphe financier aussi important qu’une victoire militaire, » et elle pourra envisager sans crainte la concurrence que l’Amérique se prépare à lui faire sur le domaine financier, si d’ailleurs elle reste fidèle à la tradition économique qui a fait sa fortune, au libre-échange.


III

Mais lui restera-t-elle fidèle ? C’est la question qui se pose aujourd’hui et qui intéresse les non-Anglais presque autant que les Anglais. On sait que la vieille religion du libre-échange, si populaire outre-Manche, si profondément ancrée dans l’esprit public, s’est vue attaquée depuis une quinzaine d’années par une fraction du parti conservateur, sous l’impulsion de M. Joseph Chamberlain. On lui reprochait de laisser l’industrie britannique sans défense en face de la rapide progression de la concurrence allemande et américaine, et de compromettre le commerce d’exportation ; on réclamait, sous le nom de Tariff Reform, une protection modérée qui donnerait des armes aux industriels pour lutter contre l’étranger et au gouvernement pour négocier des conventions douanières, et qui, en avantageant le commerce colonial, contribuerait à resserrer les liens des colonies avec la mère patrie et à fortifier l’unité