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décret n’a aboli l’Église d’État, et cependant cette Église est de tous côtés battue en brèche. Avanies et restes de faveur, tout se mêle. Quand ils descendent en eux-mêmes et s’interrogent sur leur condition, les prêtres constitutionnels demeurent perplexes. Sont-ils des privilégies ? Sont-ils des persécutés ? Ils l’ignorent, et nul autour d’eux ne le sait bien.

La vérité, c’est qu’ils sont à la fois l’un et l’autre ; et la prolongation de cette étrange équivoque souligne la misérable originalité de leur sort.

Qu’on entre dans leur église. Il est visible que déjà elle n’est plus à eux. Souvent, c’est dans l’église que se sont tenues les assemblées électorales pour la Convention. Dans l’église aussi s’est célébrée, en beaucoup de communes, l’apothéose, toute païenne, du conventionnel Lepeletier, immolé par le garde du corps Paris en représailles de la mort du Roi. Au printemps de 1793, commencent à se répandre dans les provinces les Représentans envoyés en mission ; c’est dans l’église et du haut de la chaire qu’ils prêchent aux habitans le dogme républicain. Les clubistes trouvent l’église tout à fait à leur gré, et dans l’un des villages de Normandie, ils prennent possession d’une des chapelles pour y tenir leurs séances, en attendant que, dans la même chapelle, ils déposent un peu plus tard le buste de Marat. — Ainsi expropriés, les curés se lamentent fort. Mais voici, au milieu des disgrâces, l’appui officiel qui reparaît. Ils reçoivent le paquet des papiers publics ; or, ils y lisent un décret daté du 23 mars 1193 et qui est ainsi conçu : « La Convention nationale… décrète que tout citoyen qui se permettra des indécences dans les lieux consacrés à la religion ou sera convaincu de profanation, de quelque nature qu’elle soit, sera dénoncé et livré aux tribunaux pour y être poursuivi suivant l’exigence du cas. »

Près de la cathédrale, il y a le séminaire. Souvent les autorités s’en emparent. A Fréjus, il devient caserne ; à Luçon et à Nantes, hôpital ; à Rodez, lieu de réunion pour le conseil de la commune ; à Saint-Dié, on projette d’en faire un magasin à fourrage. En cette spoliation qui ne verrait le dessein de tarir les sources du recrutement sacerdotal ? — Cependant la même autorité qui confisque, protège. A travers la persécution le privilège repousse, comme refleurit un arbre aux racines mal coupées ; et un décret est publié qui soustrait