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caractères sont, en général, inégaux aux événemens ! Il y a les indécis comme Lalande, évêque de Nancy, qui, en 1790, a quatre fois changé d’avis avant d’accepter l’épiscopat, puis en 1791 s’est démis de sa charge, a retiré on 1792 sa démission elle-même, et bientôt abdiquera décidément ses fonctions. Il y a ceux qui, comme Gobel, sont agités de remords, voudraient être fermes, ne l’osent et portent silencieusement le deuil de leur courage. Il y a les égoïstes qui se terrent et, à force de s’isoler, espèrent qu’on les oublie : tel est Villar, évêque de Laval, sorte de « Berquin mitre, » sentimental et doux qui se réfugie dans les lettres : tel est, dans la Vendée, Rodrigue qui ferme sa porte, se recueille dans son avarice comme Villar en ses beaux livres, et n’est connu, dit-on, que de, l’employé du fisc chargé de lui compter son traitement. Il y a enfin les étranges : ainsi se montre, en sa petite ville de Viviers, Lafont de Savine. Il est un des rares évêques de l’ancien régime qui aient prêté serment. Il est tolérant pour les réfractaires, les protège autant qu’il le peut, et, comme président de l’administration départementale, tente les plus nobles efforts pour les soustraire tous à la déportation. Jusqu’au milieu de la Révolution, il conserve de l’ancien monde auquel il appartient par sa naissance le goût du luxe, des réceptions, des plaisirs. Dans le nivellement général, il garde ses armoiries, avec un cor de chasse et cette devise qu’il s’est forgée lui-même : « J’irai sonner jusque dans les cieux. » A de rares intervalles, il monte jusqu’à la terrasse où se dresse, dominant le Rhône et toute battue par le mistral, sa modeste et pittoresque cathédrale. Là-bas, dans cette petite église qui est bien sa chose, car nulle influence ne contrarie, la sienne, il a organisé une liturgie, toute de sa façon : il a supprimé les vêpres « comme ennuyeuses ; » de la messe, que d’ailleurs il ne dit guère, il a retranché tout ce qui pourrait l’allonger, le Kyrie, le Gloria, les Oraisons, sans compter d’autres menues abréviations. A-t-il gardé la foi chrétienne ? On l’ignore. On sait seulement qu’au sortir de son enfance, sa mère lui a mis en mains les livres de Rousseau comme les premiers à lire. L’empreinte ne s’est point effacée ; et il est de ces esprits imprécis, brillans et dangereux qu’attire l’abîme. On dirait qu’il traverse la vie au milieu d’un rêve incohérent, tantôt généreux, tantôt misérable. La Révolution qui déracine tant d’existences semble respecter longtemps le