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presque clairvoyans à force d’avoir peur, il se prennent à douter sérieusement de leur durée et de leur fortune. En général, l’orgueil suspend les aveux. Mais chez ceux que l’âge, la maladie, l’approche du trépas protègent contre les fausses hontes, l’inquiétude revêt des formes poignantes et terrifiées. Vers ce temps-là se mourait à Paris l’un des prêtres les plus respectables du clergé constitutionnel, le Père Poiret, ancien oratorien, curé de Saint-Sulpice. Un témoignage très sûr, très désintéressé aussi, — car c’est celui d’un de ses confrères assermentés — a retracé le récit de ses derniers jours. « La religion, répétait l’abbé Poiret, que va devenir la religion ? » Cette pensée hantait son esprit sans que rien l’en pût détacher. Et s’adressant à l’un de ses vicaires : « Travaillez, mon cher ami, pour la religion, murmurait-il obstinément de sa voix expirante ; oui, travaillez à la sauver. »

Les jours s’écoulent. De proche en proche se répand la nouvelle du 10 août. Dans les départemens éloignés de Paris, le message arrive le jour de l’Assomption, à l’heure où se déroule dans les rues la procession du vœu de Louis XIII. Parmi les bourgeois des villes, beaucoup sont atterrés, quoique silencieux. Chez les prêtres constitutionnels, la même consternation domine. Ministres d’une religion d’Etat, que deviendront-ils dans l’Etat transformé ? Cependant, dans les provinces, les clubistes qui triomphent ne sont pas plus affranchis des formes religieuses que les prêtres ne sont dégagés de la monarchie. En beaucoup de lieux, ils envoient des délégués à l’évêque et demandent qu’un service funèbre soit célébré pour les patriotes tués dans l’attaque des Tuileries. La requête ne laisse pas que d’embarrasser. Il ne s’agit pas de prier pour les morts, mais de se prêter à une glorification, presque à une apothéose. Le plus souvent la peur triomphe des scrupules. Puis il y a les vicaires épiscopaux, en général fort en avant de l’évêque. Ce sont eux qui officieront ; ils font mieux qu’officier : à Autun, à Périgueux, à Pamiers, ailleurs encore, ils prononcent en chaire le panégyrique des insurgés.

Évêques et prêtres assermentés attendent les derniers actes de l’Assemblée législative. Parmi les décrets votés, beaucoup flattent leurs passions. Les religieuses les ont bravés : elles vont être expulsées. Ils ont envié jadis les richesses des moines : ceux-ci vont être chassés de leurs derniers asiles. Ils redoutent