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sont débinés, sauf un. Nous nous creusons tous les deux un abri. Les Boches viennent d’arriver en rampant. Pour donner l’illusion du nombre, nous courons à toute vitesse derrière la haie en tirant rapidement, et chacun de nous tient deux fusils ; les Boches s’arrêtent et rebroussent chemin. Renfort arrive : une escouade. » Et l’action reprend. Dordet, avec ses deux compagnies, « occupe une petite tranchée qu’il va prolonger sur la droite : il se trouvera ainsi en bonne position pour attaquer la grande tranchée boche que notre artillerie bombarde en partie seulement[1], » au lieu de faucher aux angles et au centre. Il est une heure de l’après-midi, et la progression partout ailleurs est arrêtée. Dordet reçoit l’ordre de suspendre son mouvement et de se replier[2].

Une plus longue insistance n’eût servi qu’à faire décimer ses compagnies. À notre centre même, vers huit heures, Lartigue avait dû se défiler en contre-bas de la route, position assez médiocre[3] où il attendait les instructions du commandant Geynet. Les instructions n’arrivaient pas, et c’est qu’avec son exaltation habituelle, presque dès le début de l’attaque le commandant Geynet s’était jeté dans la mêlée. Cet admirable marin, vraiment assoiffé de sacrifice, bouillait depuis le commencement de l’action : il venait d’apprendre que les fils de fer des tranchées ennemies étaient à peine entamés ; il demanda des cisailles au capitaine Havel et il partit. Moins impatient, peut-être eût-il attendu que les progrès de l’attaque de droite fussent plus affermis. Mais, après avoir rejoint la section de l’enseigne Pion et s’être entretenu un moment avec cet officier, il poussa en avant et fut presque aussitôt pris de front et d’écharpe par des feux d’infanterie. Une de ses escouades tenait la droite de la route, l’autre la gauche. Il était un peu plus de sept heures. La fusillade, si terrible qu’elle fût, n’avait pas arrêté l’élan du commandant, qui continuait sa marche hallucinée vers la tranchée ennemie. Voyant une de ses escouades en péril, il voulut la dégager. On l’entendit crier : « Mes

  1. Journal de route du commandant B…
  2. Ce qu’il fit, à la nuit tombante, la 4e compagnie d’abord, la 1re ensuite, « en ramenant les blessés et les corps des officiers tués. »
  3. « Les balles nous causent quelques pertes, la protection du contre-bas de la route étant médiocre et difficile à améliorer. Vers midi, Souben reçoit une balle en plein front qui le tue net au moment où il commandait un feu de salve. Lartigue reste seul officier de la compagnie, avec un seul sous-officier, le second maître Poquet. »