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fougue ordinaire, dès qu’il avait eu vent de l’extension du mouvement, Geynet, dit l’enseigne Poisson, avait « bondi jusqu’à la première ligne pour être avec ses hommes au moment de l’attaque. » Mais, bien qu’il servît « de renfort à l’endroit le plus exposé, » il n’eut pas l’occasion d’intervenir, l’attaque n’ayant pu déboucher.

Quelque fièvre est permise à des non-combattans qui assistent d’un secteur voisin au déclenchement d’une offensive. Combien cette impatience est plus forte chez des hommes arrivés en pleine nuit sur des positions inconnues et qui, sept heures durant, ont guetté une blancheur dans l’étroite bande de ténèbres formant tout leur ciel ! Il ne pleuvait plus, en outre, et les têtes au moins avaient cessé de ruisseler, si les pieds trempaient toujours dans la boue. Et, comme pour solliciter davantage la curiosité de ces grands enfans, l’air s’était peuplé d’oiseaux prestigieux : « deux ballons, un français et un prussien, et sept aéroplanes. » (Commandant Geynet.) Le front de la brigade n’avait pas encore grande étendue, mais il était fort capricieux : une partie de nos tranchées étaient disposées en crochet défensif face à la Maison du Passeur, les autres s’allongeaient perpendiculairement aux premières sur la rive gauche du canal. Mais, de quelque côté qu’on le prît, le paysage restait le même, et les naïfs fusiliers, qui avaient rêvé pour cette seconde étape de leur existence militaire un horizon moins monotone que celui dont ils fatiguaient leurs yeux depuis le début de la campagne, durent éprouver une assez vive déception en se portant aux créneaux. Le paysage de Steenstraete n’est pas sensiblement différent du paysage de Dixmude : c’est toujours, parmi ses écharpes de brouillards marins, l’immense et basse plaine flamande décrite dans les communiqués, le même damier interminable de prairies, de betteravières et d’emblavures, quadrillé de petites haies et de « blancs d’eau » qui gênent les vues de l’artillerie, la même tangue grasse et grisâtre tassée entre les mêmes routes droites et surplombantes, les mêmes clochers élancés ou trapus au bout des mêmes colonnades de peupliers crispant leurs arceaux au vent du large. Nulle part on ne sent mieux le caractère ambigu de cette Flandre sensuelle et mystique, plate et illimitée, disputée entre la terre et la mer, comme entre la matière et l’esprit. À peine si, au Sud de Steenstraete, vers