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Vite, pour prendre au vol les notes irritées,
Il tend sur le papier les cinq fils des portées.
Ce sera détestable ou sublime. Il a peur,
Tout chef-d’œuvre nocturne étant une vapeur
Qui peut s’évanouir lorsque blanchit la vitre.
Que va-t-il retrouver demain sur son pupitre ?
— L’homme tombe, épuisé, las d’être surhumain.
Il dort.

Le chant s’élance ! — et, dès le lendemain,
Vole du violon sur un clavier d’ivoire.
Des héros attablés forment son auditoire.
Le maire de Strasbourg les manda ce matin
Pour leur chanter le chant nouveau. C’est un festin
Qui mêle, au seuil des jours pleins d’heures inconnues,
Les épaulettes d’or et les épaules nues.
On cause. On rit. « Sait-on ce que devient Kléber ?
— Qui ? le géant ? Il vient de s’engager ! — Mon cher.
Les sangliers germains vont rentrer dans leurs bauges ! »
Et la vieille eau-de-vie aux framboises des Vosges
Passe… Et la Mort, dans l’ombre, enroule à son index
Un des beaux cheveux blonds du lieutenant Desaix.

Les couples ne prêtaient que des oreilles vagues
Quand la nièce du maire, en enlevant ses bagues.
S’assit au piano-forte de Silbermann.
Mais la guimpe et le frac, l’écharpe et le dolman
Frémirent ; tous les yeux se remplirent de larmes ;
Et lorsque retentit le magnifique : « Aux armes ! »
Le clair salon put voir, à cette grande voix.
Tous les Français debout pour la première fois.

Et laissant le clavier brisé par ses saccades,
Le chant s’envole ! Il va courir sous les Arcades,