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C’est encore le même interprète et « héritier » de Beethoven, — car n’affirme-t-il pas que l’âme de ce maître se substitue en lui à la sienne propre, dès qu’il se met à « l’interpréter ? » — qui, malgré son goût naturel pour les sports, n’ose pas même se permettre de patiner, ni de jouer au tennis. Le fait est qu’il se trouve avoir « assuré » ses deux mains et ses deux pieds, de manière à toucher une grosse rente en cas d’accident : mais le contrat qu’il a signé avec la compagnie d’assurances lui défend de se livrer même aux jeux les plus anodins.


« Voilà, me dira-t-on, une série de caricatures évidemment revêtues d’une portée satirique, et ayant pour objet de vouer au mépris du lecteur allemand ces fâcheux échantillons du déchet de sa race ! » Mais non, pas du tout : le romancier qui nous présente ces divers personnages ne cache nullement, au contraire, la vive sympathie qu’il éprouve pour eux. Il estime, — et va même jusqu’à déclarer plus ou moins expressément, — que l’on ne saurait avoir plus de charme et d’esprit que Mme von Duffel, plus de grâce juvénile que la nièce ingénue de cette exquise tante, et que jamais un grand artiste « mondial » n’a « porté » plus agréablement que l’élégant Willi Torwald le double poids du génie et de la renommée. Sans compter que l’on se tromperait également à prendre ce romancier lui-même pour un « réaliste » farouche, ou bien encore pour un adepte attardé de ce qu’on appelait naguère chez nous la littérature « rosse, » aux temps « héroïques » du Théâtre-Libre de M. Antoine. Bien loin de ne s’adresser qu’à un public restreint, l’ancien officier qui signe ses livres du pseudonyme de « Baron von Schlicht » est devenu depuis longtemps, dans son pays, le maître le plus goûté d’un genre à la fois populaire et « mondain, » — équivalant un peu, là-bas, à celui qu’ont jadis inauguré en France les romans « parisiens » d’Edmond About, à cela près que les scènes de la vie militaire y occupent toujours une place beaucoup plus importante.

J’ai eu déjà, d’ailleurs, l’occasion de signaler ici quelques-uns de ces romans du baron von Schlicht, et de mettre en garde le lecteur français contre son penchant naturel à considérer comme des « caricatures » des portraits de l’espèce de ceux de Mme von Duffel ou de sa nièce Loni[1]. C’est, en vérité, de la meilleure foi du monde que le célèbre romancier allemand, tout en s’ingéniant à divertir ses

  1. Voyez la Revue du 15 septembre et du 15 octobre 1914.