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celle-ci pour regarder, toucher, et admirer à loisir le contenu des innombrables malles amenées par la belle « réfugiée, » — sans se lasser d’épancher ingénument son enthousiasme à la découverte « de ces robes élégantes, de ce linge délicat, de ces gracieux dessous, et de tant d’autres trésors dépassant même ses rêves les plus hardis de splendeur et de luxe. » Mais, tout d’un coup, la voici qui descend l’escalier, pénètre dans le salon, et accourt vers la chaise longue où repose indolemment Mme von Duffel, « vêtue d’un peignoir parfumé, et tenant entre ses doigts effilés une cigarette d’odorant tabac russe ! »

— Ma tante, — s’écrie la jeune fille en élevant de ses deux mains « une blouse blanche d’une beauté vraiment enchanteresse, tout ornée d’authentiques dentelles de Bruxelles, » — jamais encore je n’ai rien vu de semblable à ceci ! Mais sûrement cette blouse aura dû vous coûter une fortune !

— Qu’appelles-tu une fortune, ma chère Loni ? C’est là un mot d’une signification très élastique. Et, naturellement, je ne sais plus ce que cette blouse a pu me coûter : mais en tout cas je t’assure que je ne l’ai point payée très cher. Tout au plus en aurai-je donné cinq ou six cents francs !

Cette fois, l’étonnement de la jeune fille se renforce d’une nuance d’épouvante.

— Cinq cents francs, c’est-à-dire environ quatre cents marks ! Vous avez donné cela pour avoir cette blouse, et vous ne trouvez pas encore que ce soit trop cher !

Avec une bonne grâce charmante, Mme von Duffel explique alors à sa nièce qu’elle a le privilège d’être extrêmement riche. Et depuis un moment déjà elle a entamé l’énumération de ses domaines, ainsi que des autres sources principales de ses revenus, lorsqu’elle s’aperçoit que sa nièce ne l’écoute point. La jeune fille est toujours encore plongée dans la contemplation extasiée de la blouse de cinq cents francs ; après quoi, soudain, « comme s’éveillant d’un rêve : »

— Et dites-moi, ma tante, cette blouse, elle vient de Paris ?

La belle jeune veuve accueille cette question « avec un sourire d’indulgence légèrement dédaigneuse. »

— Ah ! ma petite Loni, comme on voit bien que tu n’es encore qu’une enfant ! Pourrais-tu croire vraiment qu’on trouve quelque chose de pareil dans notre Allemagne ? La somme de goût qu’il y a dans cette blouse, on la chercherait en vain chez nos couturières et nos modistes allemandes ! Certes, je suis, moi-même, une Allemande