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Elles ont été les véritables ouvrières, — actives, industrieuses, passionnées, opiniâtres, — de la solidarité américaine envers la France. L’écho du coup de canon initial les trouva éveillées, prêtes, et, tout de suite, elles furent à la tâche, chacune dans son domaine, depuis la fille du milliardaire, comme une Anne Morgan, jusqu’à l’institutrice au cachet, comme cette surprenante miss Schaefer que j’ai vue, à Gloversville, dans le fin fond de l’Etat de New-York, oublier de gagner sa vie pour nous gagner des dévouemens, soulever, à force de foi, des montagnes d’indifférence, créer de la charité, opérer, en un mot, des prodiges. J’ai touché plus haut à l’attitude de la presse : ce que je n’ai pas dit, c’est que bon nombre des articles, non seulement les plus fervens, mais les plus compréhensifs, qui aient été écrits sur nous l’ont été par des plumes féminines. J’ai mentionné le nom d’Edith Wharton : il faudrait y joindre, avec beaucoup d’autres, ceux d’Agnès Repplier, de Laura Portor, de Mme Carrière-Freedman et surtout ce joyeux sobriquet de « Peggy Shippen » sous lequel la plus allègre, la plus fine, la plus exquise des commères en cheveux blancs, Mme Cornélius Stevenson, bat, dans les journaux de Philadelphie, le constant rappel à la France., C’est grâce à cette infatigable « réclame, » si nécessaire pour tenir en haleine le vaste monde américain, que les quinze, les vingt « œuvres » — French relief fund, French Heroes fund, War orphans fund, Blinded fund, etc., — qui fument là-bas nuit et jour, en quelque sorte, comme autant d’usines morales destinées à nous fabriquer des subsides, encore des subsides, ont été, sinon édifiées, du moins amplifiées, et, après des mois, des années, de fonctionnement, continuent d’être alimentées sans fin.

La plupart de ces « œuvres » elles-mêmes ont eu pour fondatrices des femmes. Et ce sont pareillement des femmes qui, en principe, les font vivre, déployant à cet effet les mille ressources, les mille ruses d’un génie singulièrement inventif. A Cincinnati, Mlle Morhard avait imaginé de vendre, à un dollar pièce, je ne sais combien de centaines d’exemplaires de la « Lettre à un soldat, » de Brieux : elle en écoula jusque parmi les germanophiles qui n’y cherchèrent pas malice, du moment que la lettre, bien que rédigée en français, s’adressait à « un soldat » tout court. Non contente de provoquer la générosité d’autrui, l’Américaine que l’on prétendait volontiers oisive s’est