Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est ce qu’exprime bien dans sa forme naïve une lettre d’un poilu anonyme me félicitant récemment de m’occuper de la repopulation. « On a presque honte en France, écrit-il, d’avoir beaucoup d’enfans. Quand je sortais avec ma femme et mes quatre beaux petits, les locataires voisins nous considéraient les uns avec mépris, les autres avec pitié, et, plus d’une fois, j’ai entendu dire par ces bons chrétiens : « Quel bruit ils font ! C’est la mère Une telle avec sa nichée. » Il est vrai que mes pauvres petits dévalent les escaliers et dérangent les voisins sans enfans, qui lisent leur journal. » Mon correspondant aurait pu ajouter que certains propriétaires classent les enfans dans la catégorie des objets qui troublent la tranquillité des maisons, entre les chiens et les pianos, et aussi, chose plus grave encore, que des pères de famille, regardés en quelque sorte comme indignes à cause du nombre de leurs enfans, cherchent sans succès des positions trouvées tout de suite par des célibataires, pour la seule raison qu’ils sont célibataires.

Dans une question qui touche à son existence même, l’Etat a de graves obligations ; ce serait pour lui un suicide, s’il ne montrait dans les lois son souci de relever la natalité. Qu’aucune loi ne soit votée sans qu’on étudie ses répercussions possibles. Que l’Etat honore la famille nombreuse et lui rende la vie plus facile. Il contribuera ainsi, après les influences morales dont j’ai parlé, à transformer la mentalité publique à l’égard des grandes familles. Nous comptons donc sur une action législative judicieusement conduite : elle ne créera peut-être pas le désir de fonder une famille, mais elle écartera certains obstacles qui empêchent la réalisation de ce désir.


Entrons maintenant dans quelques détails sur les points dont l’étude parait particulièrement urgente. Nous partons de ce fait que la conservation et le développement normal de la nation exigent absolument un minimum de trois enfans vivans par mariage. Il en résulte que la nation est débitrice envers les citoyens ayant plus de trois enfans, tandis que, au contraire, les citoyens qui, volontairement ou non, ne contribuent pas ou contribuent insuffisamment à la perpétuité de la patrie sont débiteurs envers elle. Une nation n’est pas en effet un simple agrégat d’individus isolés, mais, suivant la belle formule de